Réalité apparente


(a) Pour nous, les mots <réel> et <réalité> sont synonymes. Pourtant, nous emploierons les termes <réalité apparente> et <effet de réalité>, pour désigner notre illusion de connaître facilement, simplement, individuellement, le réel. Ce problème n'est pas nouveau. Il ne vient pas de la relativité, mais de la complexité de la réalité et de la partialité de chaque point de vue. On le trouve déjà à Rome, entre Pompée et le Sénat.


- <<Un tel homme ne pouvait trouver sa place dans le régime sénatorial. Sur ce point, les adversaires de Pompée avaient raison ; il en était ainsi. Seulement, Pompée ne pouvait pas le comprendre, parce qu'il l'entendait autrement. Il considérait le Sénat et la res publica plutôt de l'extérieur, à partir des tâches objectives qui s'imposaient à eux, tandis qu'eux-mêmes les voyaient de l'intérieur, à partir de l'ordre menacé. Tous avaient raison. Seulement la préservation de l'ordre et l'accomplissement de tâches extraordinaires s'excluaient, parce que l'accomplissement de ces tâches s'accompagnait d'un trop grand surcroît de pouvoir, parce que le Sénat veillait trop peureusement et, par conséquent, trop étroitement et trop faiblement, sur sa responsabilité. Voilà où se situait la contradiction. Le Sénat et Pompée représentaient au fond deux réalités qui divergeaient de plus en plus. Mais cela ils ne le savaient pas. Et Pompée voulait par-dessus le marché s'acquitter des tâches objectives en même temps que plaire au Sénat et à toute la société. C'est ainsi que cette contradiction finit par déterminer son attitude, par le pénétrer. «Visage loyal, cœur insolent», ainsi l'a caractérisé Salluste. Il cherche à satisfaire avec le premier sa volonté de fidélité à l'égard du Sénat, avec le second son ambition de s'acquitter de toutes les tâches importantes, fût-ce contre la volonté du Sénat — et, avec le temps, de consolider aussi sa position contre le Sénat. (Christian Meier, "César", 1982, traduction, Seuil, Paris, 1984, page 146)>>.


(b) La réalité apparente est, en fait, une représentation individuelle, partagée ou institutionnelle. Dans la vie quotidienne et dans l'action, l'urgence nous pousse à utiliser des réflexes et des modes de raisonnement simplistes. Nous agissons certes dans le réel, mais en ne pensant qu'à une toute petite partie de celui-ci. Or le réel existe et réagit dans sa complexité et son immensité. Si nous devions attendre de le modéliser pour agir nous mourrions de faim avant de bouger le petit doigt. Mais l'urgence de l'action ne doit pas nous faire oublier que notre réel pratique n'est qu'une réalité apparente et très réductrice.


- <<On dira parfois que chacun a sa carte du monde, dans le sens que si le monde, l'univers, un continent ou un pays donné existe bel et bien, il existe également des centaines, des milliers de cartes routières, géologiques, fluviales, aériennes, administratives, climatiques, démographiques… aux échelles les plus diverses, représentant ce continent, ce pays, cet espace. De la même manière, chaque individu, mais aussi chaque groupe, possède une représentation, une carte du monde qui lui est propre : sa carte du monde. Notre perception de la réalité est toujours partielle parce que nous sommes des êtres humains forcément limités. Elle est aussi sélective, parce que nous retenons ce qui a le plus de signification pour nous. Et c'est à partir de là que nous sommes forcément partiaux, partisans. Notre perception est structurée et globale parce que nous percevons les choses qui nous sont données comme faisant partie d'un tout qui en donne le sens ; chaque objet et chaque personne sont perçus dans un environnement et dans un contexte qui nous fournissent des indices propres à les identifier. Ainsi, une dame qui circule en blouse blanche dans les couloirs d'un hôpital ne peut qu'être une infirmière, une kiné ou un médecin… Notre perception se fabrique au fil de nos expériences, de notre éducation, de notre formation, de notre culture, de nos activités. Le point de vue de l'élève sur l'école est différent de celui de l'enseignant ou de celui des parents. (François Bazier, Administrateur-délégué de l'Université de Paix, "Technopololes", n°5, février-mars 2002, textuel S.A.)>>.


(c) Les explosions atmosphériques des bombes atomiques russes ont provoqué des maladies bien avant que les autorités soviétiques n'admettent de prendre au sérieux les interrogations d'Andrei Sakharov. La réalité apparente dans laquelle nous agissons est une toute petite partie de la réalité indépendante qui produit les conséquences de nos actions.


(d) L'effet de serre a commencé bien avant que nous en ayons conscience. La différence entre le réel et la réalité apparente explique la formule : <<Les hommes veulent l'histoire qu'ils font, mais il ne font pas l'histoire qu'ils veulent (Karl Marx)>>.


(e) C'est pourquoi la causalité magico-phénoméniste n'est pas l'apanage des enfants du niveau sensori-moteur, de zéro à deux ans. La causalité de type scientifique est une longue acquisition et nous ne l'utilisons pas à toute heure du jour et de la nuit. La pensée non finaliste de l'irréversibilité exige une formalisation mathématique encore très récente (chaos, fractales). La pleine acquisition de la causalité non finaliste requiert un fort recul des intuitions anthropocentristes. Elle exige la prise en compte de l'inéluctabilité des représentations partielles pour la construction du réel. Ce réel, intelligible, est plus complexe que la réalité apparente. Celle-ci fonctionne selon une finalité présupposée, pour notre besoin d'agir ou de nous rassurer.


(f) La réalité apparente est le plus grand modèle de la réalité que notre ego soit capable de contenir, à un instant donné. Cette réalité change quand nous fixons notre attention sur un autre sujet. C'est pourquoi il nous arrive de nous contredire dans un bref intervalle de temps. En outre, la partie de la réalité dont nous réussissons à avoir connaissance est fonction de notre état de conscience. Or nous sommes souvent dans un état d'évitement de la réalité. En ce sens, le spectacle est délibérément construit comme une fausse réalité.


(g) Voir Effet de nécessité. Effet de réalité. Réalité indépendante. Réel voilé. Représentation sociale. Spectacle décisionnel. Spectacle social.


(h) Lire "Décision Représentation". "Réalité Représentations".






* * *


Auteur.

Hubert Houdoy

Mis en ligne le Mardi 1 er Juillet 2008



Explorer les sites.

Réseau d'Activités à Distance

A partir d'un mot

Le Forez

Roche-en-Forez



Consulter les blogs.

Connaître le monde

Géologie politique


Nota Bene.

Les mots en gras sont tous définis dans le cédérom encyclopédique.