Point de vue



(A) Généralités.



(a) Le point de vue est un point géographique, à partir duquel on obtient une certaine vue sur un objet. Le point de vue d'un miroir, pour celui qui s'y regarde, se trouve sur un axe perpendiculaire à sa surface et passant par son centre.


- <<Un jour que nous dînions chez une dame du pays, à une lieue de Machecoul, en se regardant dans un miroir qui était dans la ruelle, elle montra tout ce que la morbidezza des Italiens a de plus tendre, de plus animé et de plus touchant. Mais par malheur elle ne prit pas garde que Palluau, qui a depuis été le maréchal de Clérembault, était au point de vue du miroir. (Cardinal de Retz, "La Vie du cardinal de Rais").


(b) Technologie. Le point de vue est le réglage particulier d'une longue vue ou d'une paire de jumelles qui convient à la vision d'un individu.


- <<- Il existe si bien, que voilà son petit yacht qui s'éloigne, toutes voiles dehors, et que, si vous voulez prendre votre lunette d'approche, vous reconnaîtrez selon toute probabilité, votre hôte au milieu de son équipage."

Et, en disant ces paroles, Gaetano étendait le bras dans la direction d'un petit bâtiment qui faisait voile vers la pointe méridionale de la Corse. Franz tira sa lunette, la mit à son point de vue, et la dirigea vers l'endroit indiqué. (Alexandre Dumas, "Le Comte de Monte-Cristo", 1845, Chapitre 32)>>.


(c) Par extension, un point de vue est une manière d'aborder un problème ou la réalité. Nous sommes incapables de décrite la réalité indépendante sans la découper en discours (de disciplines). Chaque discours de vérité (illusoire) est organisé selon un certain point de vue méthodologique. On aura le point de vue du travailleur et celui du capitaliste, celui de l'homme et celui de la femme, d'où la lutte des classes et la guerre des sexes.


(d) Le point de vue de Sirius prétend voir les choses de très haut. Mais cette position, imaginaire, n'est pas réaliste. Inversement, au gré de ses protecteurs successifs, qui le stipendient et le récompensent, Jean Froissart change de point de vue sur les faits de la Guerre de Cent Ans.


(e) La méthodologie scientifique utilise souvent le point de vue de la reproduction. On ne peut en déduire aucun déterminisme, mais seulement un possibilisme. Un point de vue professionnel peut résulter d'une déformation professionnelle.


(e) Le <point de vue> a une référence topique à des lieux, fussent-ils communs. Ce n'est point un hasard. C'est Aristote qui est à l'origine de cette géographie du discours. Dans les "Topiques", Aristote explique la méthode dialectique :


- <<Le but de ce traité est de trouver une méthode qui nous mette en mesure d'argumenter sur tout problème proposé, en partant de prémisses probables, et d'éviter, quand nous soutenons un argument, de rien dire nous-mêmes qui y soit contraire" (Aristote)>>.


(f) Quand il est question de vie ou de mort, il est fréquent que l'on change de point de vue et de résolution.


(g) Références littéraires ou philosophique :


- <<Un grand parc bien boisé s'étendait sur une partie de la montagne derrière le château, qui, situé, comme nous l'avons déjà dit, dans une gorge de montagnes, semblait y avoir été placé pour en défendre l'approche. Là le père et la fille, se tenant par le bras, se promenaient sous une belle avenue d'ormes dont les branches supérieures formaient en s'entrelaçant un berceau sous lequel on était à l'abri des rayons du soleil, et où l'on voyait de temps en temps courir un daim léger. Sir William Ashton, malgré ses occupations habituelles, n'était pas sans goût pour les beautés de la nature, et il faisait remarquer à sa fille quelques beaux points de vue percés dans le bois quand ils furent rejoints par son garde forestier, qui, le fusil sur l'épaule et conduisant un chien en laisse, entrait dans l'intérieur du bois. (Walter Scott, "The Bride of Lammermoor", 1819, Traduction Auguste Defauconpret, "La Fiancée de Lammermoor", Chapitre III)>>.


- <<Mme Danglars, à son point de vue, et malheureusement dans ce monde chacun a son point de vue à soi qui l'empêche de voir le point de vue des autres, Mme Danglars, à son point de vue, disons-nous, regrettait donc infiniment que le mariage d'Eugénie fût manqué, non point parce que ce mariage était convenable, bien assorti et devait faire le bonheur de sa fille, mais parce que ce mariage lui rendait sa liberté. (Alexandre Dumas, "Le Comte de Monte-Cristo", 1845, Chapitre 99)>>.


- <<Bifurcations de hasard et nécessités en retour Souvenez-vous : en coupant court, l'autobiographie visait à brosser un portrait, profil ou silhouette paraissant sur le fond de ce bruit ; de même, l'histoire découpe un extrait dans l'innombrable taillis du passé. Comment ? Depuis le matin je marche, en moyenne montagne, le long d'un sentier dont les virages suivent parfois les courbes de niveau. Quand je me retournais, ce matin, je voyais un bois d'épicéas et, dans le creux du vallon, le village que je venais de quitter, sous le clocher de son église modeste. À gravir, pendant quelques heures, une pente constante et à me retourner de nouveau, je contemple, derrière moi, un large paysage de montagnes, où se déploie la chaîne des Écrins, avec, devant, le glacier du Pelvoux ; au premier plan, dans une prairie plus basse, entouré de ses chiens de berger, un troupeau de moutons chôme sous le soleil de midi. Le hameau et la forêt ont disparu. Ce que je perçois des endroits où je viens de passer dépend de la direction que suit, maintenant, le chemin. Il suffit d'un virage pour transformer le paysage précédent. Là, le bois et le village ; ici, troupeau et glacier. Familier dans l'espace et pour nos mouvements, ce changement de perspective se reproduit avec le temps, pour lequel nous admettons moins que le passé dépende aussi de nos bifurcations. À lire avec étonnement et parfois jusqu'au scandale ce que mes enfants apprennent d'elle dans les livres d'histoire, je ne comprends plus ma jeunesse ; la leur n'a déjà pas la même Deuxième Guerre mondiale que moi ; elle a bifurqué cent fois avec la pilule et la Toile. (Michel Serres, "Récits d'humanisme", Le Pommier, 2006, page 110)>>.


- <<Le concept d'un monde intelligible n'est donc qu'un point de vue, que la raison se voit forcée de prendre en dehors des phénomènes, pour se concevoir elle-même comme pratique, ce qui ne serait pas possible si la sensibilité exerçait sur l'homme une influence déterminante, mais ce qui est nécessaire, si on ne lui refuse pas la conscience de lui-même en tant qu'intelligence, par conséquent, en tant que cause raisonnable et déterminée par la raison, c'est-à-dire en tant que cause agissant librement. Sans doute ce concept nous apporte l'idée d'un ordre de choses et d'une législation bien distincts de l'ordre et de la législation du mécanisme physique, qui est le caractère du monde sensible, et il nous présente comme nécessaire l'idée d'un monde intelligible (c'est-à-dire d'un ensemble d'êtres raisonnables, en tant qu'êtres en soi), mais il ne nous permet pas d'en concevoir autre chose que la condition formelle, c'est-à-dire l'universalité des maximes de la volonté comme lois, par conséquent, l'autonomie de cette faculté, qui seule peut s'accorder avec sa liberté, tandis qu'au contraire toutes les lois qui sont déterminées par un objet donnent de l'hétéronomie, laquelle ne peut se rencontrer que dans les lois de la nature et ne regarde que le monde sensible. Mais où la raison transgresserait toutes ses limites, ce serait si elle entreprenait de s'expliquer comment la raison pure peut être pratique, question qui reviendrait à celle de savoir comment la liberté est possible. En effet nous ne pouvons expliquer que ce que nous pouvons ramener à des lois dont l'objet peut être donné dans quelque expérience possible. Or la liberté est une pure idée, dont la réalité objective ne peut en aucune manière être prouvée d'après des lois de la nature, ni, par conséquent, nous être donnée dans aucune expérience possible, et qui, échappant à toute analogie et à tout exemple, ne peut par cela même ni être comprise, ni même être saisie. Elle n'a d'autre valeur que celle d'une supposition nécessaire de la raison dans un être qui croit avoir conscience d'une volonté, c'est-à-dire, d'une faculté bien différente de la simple faculté de désirer (la faculté de se déterminer à agir comme intelligence, et, par conséquent, suivant les lois de la raison et indépendamment des instincts naturels). Or là où les lois de la nature cessent d'expliquer les déterminations, là cesse toute explication, et tout ce qu'on petit faire, c'est de se tenir sur la défensive, c'est-à-dire d'écarter les objections de ceux qui, prétendant avoir pénétré plus profondément dans la nature des choses, tiennent hardiment la liberté pour impossible. On peut en effet du moins leur montrer d'où vient la contradiction qu'ils prétendent découvrir ici ... (Emmanuel Kant, "Fondements de la métaphysique des moeurs", Section III, Passage de la métaphysique des moeurs à la critique de la raison pure pratique, in "Critique de la raison pratique", 1788, traduction française de J. Barni, édition Ladrange, 1848, pages 118-119)>>.


(h) L'aperspectivisme peut être défini comme la capacité, individuelle ou collective, de combiner des points de vue différents pour une connaissance plus globale.


(i) Voir Platonicien.



(B) En Economie Politique.



(a) Certes le réel existe, indépendamment de nous, mais sa complexité est telle que nous ne pouvons le comprendre ni le simuler dans un seul modèle.


(b) Nous sommes plongés dans un réel voilé ou une réalité lointaine. A travers nos représentations, nous croyons lire une réalité apparente. Celle-ci se caractérise par son point de vue comme par son degré de résolution (finesse de sa modélisation).


(c) Cette fractalité de la réalité s'applique à la mesure du temps des activités. (Par définition, le temps global d'une organisation est découpé en une liste exhaustive de temps partiels. La liste des temps partiels est déterminée par un point de vue théorique. On peut produire autant de découpages différents que l'on peut imaginer de points de vue pertinents. Le temps global et les temps partiels d'une même organisation sont mesurés par le même temps d'horloge ou par des parties aliquotes de celui-ci. La somme des mesures précises des temps partiels d'une liste exhaustive doit égaler la mesure conventionnelle du temps global correspondant.).


(d) Selon notre définition, le point de vue doit être défini avec précision. C'est le but de la problématique. Elle définit sous quel angle nous abordons la réalité.


(e) En somme. La réalité indépendante existe, mais elle est non-connaissable en totalité. Car elle n'est pas une totalité.


(f) Le tout est une illusion. Le totalitarisme est un très grave danger.


(g) Voir Globalité. Solipsisme. Totalité.


(h) Lire "Economie Temps".



(C) Psychanalyse historique.



(b) Soucieux d'explorer un nouveau domaine (inconscient, appareil psychique) tout en gardant le plus possible une méthode scientifique et les principes de la Physique, Sigmund Freud a distingué plusieurs points de vue dans son analyse.


(b) Le point de vue économique ne concerne ni le mariage ni la prostitution. Il est le point de vue énergétique, pour lequel est élaboré le concept (purement quantitatif) de libido. Ce point de vue interdit de supposer une force quelconque (symptôme, conversion somatique, etc) sans admettre son origine biologique et physiologique, en dernière instance, son origine dans l'alimentation. On sait que Marx et Podolinski n'ont pas eu cette sagesse. Dans le point de vue économique freudien, la pulsion de mort fait référence à l'entropie (sans forcément se confondre avec elle). La libido est la traduction du principe de conservation de l'énergie. L'adjectif <économique> est employé pour "énergétique", en référence à la notion de travail physique. Citations :


- <<Le point de vue qu'on nomme, en psychanalyse, économique, est très précisément celui d'une "exigence de travail" : s'il y a travail, modification dans l'organisme, c'est qu'il y a une exigence à la base, une force, et, comme dans les sciences physiques, la force ne peut se définir que par la mesure d'une quantité de travail. Définir la pulsion par sa poussée, le Trieb par son Drang, c'est, d'un point de vue épistémologique, presque une tautologie : l'une n'est finalement que l'élément abstrait, hypostasié, de l'autre. Si bien que, pour anticiper sur ce qui va suivre, nous voudrions proposer l'hypothèse suivante : c'est seulement cet élément abstrait, le facteur économique, qui va rester invariant dans la dérivation qui nous fera passer de l'instinct à la pulsion. (Laplanche, Vie et mort en psychanalyse, page 22)>>.


(c) Le point de vue topique essaye de préciser la position (topologique plus que topographique) des phénomènes psychiques. D'où vient l'action ? D'où deux topiques chez Freud. La première topique distingue inconscient, préconscient et conscient. La seconde topique met en scène le ç, le Moi et le Surmoi.


(d) Point de vue dynamique. Le point de vue génétique (genèse) ou dynamique (conflit psychique, refoulement, retour du refoulé) essaye de voir dans quel ordre se mettent en place les mécanismes psychiques. D'où la notion d'étayage. La succession des stades (stade oral, stade anal, stade phallique et stade génital) relève aussi de ce point de vue.


(e) Freud considère qu'un problème n'est compris que lorsqu'on peut l'aborder des trois points de vue, sans incohérence, et en accord avec les sciences connexes (comme la Biologie pour l'origine des pulsions).


(f) L'aspect dramatique des ruptures avec Adler et Jung peut s'expliquer par le groupe fusionnel, constitué par les premiers acteurs de la psychanalyse. On retrouvera le drame entre Anna Freud et Mélanie Klein. De même, Jacques Lacan a été au cœur de deux ruptures. Mais, le point de vue économique explique que Freud tienne à l'idée de libido (garante de la conservation énergétique), même si la pulsion de mort n'est guère différente de la pulsion d'agression d'Adler.


(g) Voir Besoin. Désir. Instinct. Pulsion. Réel, Imaginaire et Symbolique.



(D) Psychologie de l'enfant.



(a) Avec l'Epistémologie génétique, Jean Piaget adopte aussi un point de vue génétique ou dynamique.


(b) Voir Construction. Constructivisme. Perception. Stade.



(E) En Sociologie.



(a) Dans "La Distinction", Pierre Bourdieu expose la différence entre une approche scientifique (sur le champ qui regroupe les positions à partir desquelles sont obtenues les points de vue) et un point de vue politique ou de classe.


- <<Si la sociologie de la production et des producteurs de culture n'a jamais échappé jusqu'ici au jeu des images antagonistes, dans lequel «intellectuels de droite» et «intellectuels de gauche», selon la taxinomie en vigueur, soumettent leurs adversaires et leurs stratégies à une réduction objectiviste d'autant plus facile qu'elle est plus intéressée, c'est que l'explicitation est vouée à rester partielle, donc fausse, aussi longtemps qu'elle exclut l'appréhension du point de vue à partir duquel elle s'énonce, donc la construction du jeu dans son ensemble : c'est seulement au niveau du champ de positions que se définissent tant les intérêts génériques associés au fait de participer au jeu que les intérêts spécifiques attachés aux différentes positions, et par là la forme et le contenu des prises de position dans lesquelles s'expriment ces intérêts. Malgré les airs d'objectivité qu'elles se donnent, la «sociologie des intellectuels», qui est traditionnellement l'affaire des «intellectuels de droite», et la critique de la «pensée de droite», qui incombe plutôt aux «intellectuels de gauche», ne sont pas autre chose que des agressions symboliques qui se dotent d'une efficacité supplémentaire lorsqu'elles se donnent les apparences de la neutralité impeccable de la science. Elles s'accordent tacitement pour laisser masqué l'essentiel, c'est-à-dire la structure des positions objectives qui est au principe, entre autres choses de la vision que les occupants de chaque position peuvent avoir des occupants des autres positions et qui confère sa forme et sa force propres à la propension de chaque groupe à prendre et à donner la vérité partielle d'un groupe pour la vérité des relations objectives entre les groupes. (Pierre Bourdieu, "La Distinction. Critique sociale du jugement", Editions de Minuit, Paris, 1979, "Titres et quartiers de noblesse culturelle", pages 10-11)>>.


(b) L'Economie Politique adopte un point de vue individualiste. L'homo oeconomicus (cet insensé !) est censé rechercher son intérêt individuel et personnel. La Sociologie adopte le point de vue de la reproduction de la société, de ses normes, de ses statuts, de ses positions, de ses rôle et de ses attentes de rôles.


(c) Le point de vue de l'économie est prévalent en temps de paix et dans le monde du travail. En temps de guerre, le monde de la guerre devient dominant dans la société. La survie de la société inverse la question de vie et de mort. Cette alternance de la résolution mathématique avec laquelle on analyse le chaos de la réalité trouve sa personnification dans Cincinnatus, quittant son lopin pour exercer la dictature ou retournant à sa charrue.


(d) Face à une réalité chaotique, la question du sens est une question de thèse ou de point de vue.


(e) Voir Totalitarisme.



(F) Terme d'Anthropologie méthodologique.



(a) Pour la théorie des cohérences humaines, la diversité des points de vue est un point de départ.


- <<La théorie des Cohérences Humaines est née d'un regard. Lues sous un certain angle les choses ne se présentent pas de la même manière que sous un autre. On parle alors de points de vue différents, comme s'il y avait des points à partir desquels on pouvait voir les choses de façon différente. Les points de vue se traduisent bien souvent d'ailleurs en opinions différentes, en prises de positions qui s'accordent ou s'affrontent. Mais les positions prises en final ne sont-elles pas les conséquences de position prises a priori, de choix d'un point de vue, et, en quelque sorte, d'une disposition du regard, de l'attention, de la sensibilité et pourquoi pas de la volonté, du désir, de l'espérance ? C'est déjà là une vision offerte par la théorie des Cohérences humaines que celle de l'existence de ces "dispositions" de l'homme qui donnent Sens et cohérence à ce qui est vu, vécu, agi, pensé, partagé, projeté depuis chaque point de vue, chaque position prise. Ces dispositions sont aussi des postures, façons de se poser, de se mettre en scène dans l'existence, de se comporter. Elles sont aussi en corrélation avec ces postulats plutôt implicites à partir desquels nous construisons nos explications, notre compréhension des choses, du monde et de nous-même. Or, ces dispositions sont des positions de Sens en même temps qu'elles représentent les choix disponibles à l'homme. Sa liberté même s'exerce dans cette nature "d'être en plusieurs Sens" et depouvoir en disposer, se disposer selon l'un ou l'autre et ainsi donner sa cohérence à chaque situation comme à toute une existence. Il y a ainsi un regard d'où se dégage une vision, celle de la possibilité pour l'homme d'adopter toute une panoplie de dispositions, positions de vie, toute une panoplie de regards. (Roger Nifle, www.coherences.com, Théorie de la Cohérence, "Sens et Cohérences humaines 01")>>.


(b) Voir Consensus. Réalité apparente. Réalité comme conscience. Réalité indépendante.



(G) Contrat social.



(a) Pour Jean-Jacques Rousseau, dans le contrat social, le souverain et le peuple sont la même réalité, par le pacte de la volonté générale. Ils ne diffèrent que par le point de vue.


(b) Citations :


- <<Quand tout le peuple statue sur tout le peuple, il se forme alors un rapport, c'est de l'objet tout entier sous un point de vue à l'objet tout entier sous un autre point de vue... C'est cet acte que j'appelle une loi. (Rousseau, "Du Contrat social", Livre II, chapitre 6)>>.


- <<De là résultent plusieurs conséquences : 1° La loi, comme la volonté générale qu'elle exprime, ne peut avoir d'objet particulier. Elle peut bien créer des privilèges, non les assigner nommément à quelqu'un. Elle ignore les individus en tant qu'individus. C'est le contraire que soutenait Hobbes : "Les lois sont faites pour Titus et pour Caius, et non pas pour le corps de l'État" (De Cive, XII). La raison de cette différence, c'est que Hobbes admettait une ligne de démarcation nettement tranchée entre le souverain et la multitude des sujets. Le premier était extérieur aux seconds et dictait à chacun d'eux ses volontés. Le point d'application de l'activité souveraine était donc nécessairement un individu ou des individus, situés en dehors de cette activité. Pour Rousseau, le souverain, tout en dépassant infiniment les particuliers en un sens, n'en est pourtant qu'un aspect. Quand donc il légifère sur eux, c'est sur lui qu'il légifère, et c'est en eux que réside cette puissance législative qui s'exerce par lui. 2° Pour la même raison, la loi doit émaner de tous. Elle réunit "l'universalité de la volonté à celle de l'objet". Ce qu'un homme ordonne n'est jamais une loi, mais un décret, un acte de magistrature, non de souveraineté. 30 Enfin, puisque c'est le corps de la nation qui légifère sur lui-même, la loi ne peut être injuste "puisque nul n'est injuste envers lui-même" (ibid.). Le général est le critère du juste ; or la volonté générale va au général par nature. Ce sont les magistrats qui faussent la loi, parce qu'ils sont pour elle des intermédiaires individuels (Voir 9e Lettre de la Montagne). (Émile Durkheim, "Le 'Contrat Social' de Rousseau", édition Xavier Léon, 1918, in "Revue de Métaphysique et de Morale", tome XXV)>>.


(c) Voir Léviathan. Lois. Représentation parlementaire.



(H) En logique.



(a) Le point de vue d'une logique peut englober celui d'une autre, mais la réciproque n'est pas vraie.


(b) La logique du contradictoire peut admettre la logique d'identité. Mais, longtemps enfermés dans la logique d'identité, on a cru à l'impossibilité d'en sortir.


- <<La réponse à ces questions doit être cherchée, d'une part, au niveau de la négligence des paramètres sous lequels sont énoncés par Aristote (dans la mesure où ils sont énoncés par lui) les principes de la logique classique : "en même temps et sous le même aspect, quelque chose ne peut pas être autre chose" (l'identité, ou la constance de la pensée par rapport à elle-même); "en même temps et sous le même aspect, deux propositions opposées ne peuvent pas être toutes les deux vraies" (l'exclusion de la contradiction) ; "en même temps et sous le même aspect, deux propositions opposées ne peuvent pas être toutes les deux fausses" (l'exclusion du tiers). Ce qu'on ne peut pas accepter "en même temps et sous le même aspect" peut-être admis dans des moments différents, ou des points de vue différents ! À des moments différents, ou des points de vue différents, il est possible que quelque chose soit également quelque chose d'autre (le principe logique de l'altérité !), ou que des propositions opposées aient la même valeur (le principe logique de la circonstantialisation de la vérité, ou de l'instantialisation du discours !). (Petru Ioan, "Stéphane Lupasco et la propension vers le contradictoire dans la logique roumaine", document du web)>>.


(c) Voir Logique dynamique. Logique ternaire. Tiers exclu. Tiers inclus.



(I) Physique.



(a) Albert Einstein avait envisagé de nommer sa théorie de la gravitation <théorie du point de vue de l'observateur>.


(b) C'est Max Planck qui a parlé d'une théorie de la relativité. Dans ce terme, intellectuels, artistes et grand public ont entendu "relativisme".


- <<S'opposer à la relativité ne signifie plus contester une théorie de la gravitation ou bien la suppression de l'éther, mais refuser une remise en cause généralisée de la société. C'est le parti de l'ordre contre le parti du mouvement, les conservateurs contre les progressistes, un débat qui concerne tout le monde. Einstein est d'autant plus étonné, stupéfait, qu'il se méfie du mot «relativité» et ne l'a pas utilisé dans son texte fondateur de 1905. Pour sa part, il aurait préféré parler d'une «théorie des invariants ou d'une «théorie du point de vue», appellations nettement moins médiatiques. C'est Max Planck qui, dans son premier article de 1906, parle d'une « théorie de la relativité». Einstein se rallie à la formule et, lorsqu'en 1921 il mesure l'étendue des dégâts, il est trop tard pour faire machine arrière. «J'admets, écrit-il, que le mot est malheureux et a donné lieu à des malentendus philosophiques, [...] mais je crois qu'après tout ce temps, le changement d'un nom généralement accepté provoquerait la confusion. Il n'a de cesse de lutter contre ces dérives en rectifiant le tir chaque fois qu'il le peut. Il précise à l'archevêque de Canterbury qui s'inquiète des répercussions sur la religion : «La relativité est une théorie purement scientifique et n'a rien à voir avec la religion». Il répond à l'auteur d'un essai Le Cubisme et la Théorie de la relativité «Ce nouveau langage artistique n'a rien de commun avec la théorie de la relativité. Mais le mouvement est lancé et se développe, irrésistible, dans les décennies suivantes. Les écrivains, de Robert Frost à Thomas Mann, en passant par T.S. Eliot, Ezra Pound, Virginia Woolf ou William Faulkner veulent placer leur ouvre sous le signe de la relativité. Lawrence Durrell lance son Quatuor d'Alexandrie en annonçant qu'il « s'appuie sur le principe de la relativité » et fait dire à l'un de ses personnages que : «la théorie de la relativité était directement responsable de la peinture abstraite, de la musique atonale et de l'absence de formes en littérature». Et penser que le mélomane Einstein n'a jamais aimé que la musique classique et romantique ! Quant à Jean-Paul Sartre, il n'hésite pas à prétendre que «la théorie de la relativité s'applique intégralement à l'univers romanesque [Gérald Holton, Science en gloire, Science en procès. Entre Einstein et aujourd'hui, Paris, Gallimard, «Bibliothèque des sciences humaines», 1998]». Une fois lancée dans le public, la relativité fait l'objet de toutes les récupérations, elle prend des connotations philosophiques, idéologiques, artistiques ou morales. (François De Closets, "Ne dites pas à Dieu ce qu'il doit faire", Seuil, Paris, 2004, page 265)>>.



(J) Epistémologie.



(a) Une rupture épistémologique, une révolution paradigmatique ou changement de paradigme, est un changement de point de vue, dans le domaine de la Science.


(b) Voir Coupure épistémologique.



(K) Littérature.



(a) Dans "Les Martyrs", sur un même sujet, François-rené Chateaubriand alterne le point de vue d'un païen, féru d'Homère et de mythologie grecque, et celui d'un chrétien qui voit le monde à travers les textes des premiers "Pères de l'Eglise".


(b) C'est le cas pour l'éveil de l'amour et la perspective du mariage chez Eudore et Cymodocée.


- <<L'ange des saintes amours allume dans le coeur du fils de Lasthénès une flamme irrésistible : le chrétien repentant se sent brûler sous le cilice, et l'objet de ses voeux est une infidèle ! Le souvenir de ses erreurs passées alarme Eudore : il craint de retomber dans les fautes de sa première jeunesse ; il songe à fuir, à se dérober au péril qui le menace : ainsi, lorsque la tempête n'a point encore éclaté, que tout paroît tranquille sur le rivage, que des vaisseaux imprudents osent déployer leurs voiles et sortir du port, le pêcheur expérimenté secoue la tête au fond de sa barque, et appuyant sur la rame une main robuste, il se hâte de quitter la haute mer, afin de se mettre à l'abri derrière un rocher. Cependant un véritable amour s'est glissé pour la première fois dans le sein d'Eudore. Le fils de Lasthénès s'étonne de la timidité de ses sentiments, de la gravité de ses projets, si différentes de cette hardiesse de désirs, de cette légèreté de pensées qu'il portoit jadis dans ses attachements. Ah ! S'il pouvoit convertir à Jésus-Christ cette femme idolâtre ; si, la prenant pour son épouse, il lui ouvroit à la fois les portes du ciel et les portes de la chambre nuptiale ! Quel bonheur pour un chrétien !

Le soleil se plongeoit dans la mer des Atlantides, et doroit de ses derniers rayons les îles fortunées, lorsque Démodocus voulut quitter la famille chrétienne ; mais Lasthénès lui représenta que la nuit est pleine d'embûches et de périls. Le prêtre d'Homère consentit à attendre chez son hôte le retour de l'aurore. Retirée à son appartement, Cymodocée repassoit dans son esprit ce qu'elle savoit de l'histoire d'Eudore ; ses joues étoient colorées, ses yeux brilloient d'un feu inconnu. La brûlante insomnie chasse enfin de sa couche la prêtresse des muses. Elle se lève : elle veut respirer la fraîcheur de la nuit, et descend dans les jardins, sur la pente de la montagne. Suspendue au milieu du ciel de l'Arcadie, la lune étoit presque, comme le soleil, un astre solitaire : l'éclat de ses rayons avoit fait disparoître les constellations autour d'elle ; quelques-unes se montroient çà et là dans l'immensité : le firmament, d'un bleu tendre, ainsi parsemé de quelques étoiles, ressembloit à un lis d'azur chargé des perles de la rosée. Les hauts sommets du Cyllène, les croupes du Pholoé et du Thelphusse, les forêts d'Anémose et de Phalante formoient de toutes parts un horizon confus et vaporeux. On entendoit le concert lointain des torrents et des sources qui descendent des monts de l'Arcadie. Dans le vallon où l'on voyoit briller ses eaux, Alphée sembloit suivre encore les pas d'Aréthuse, Zéphyre soupiroit dans les roseaux de Syrinx, et Philomèle chantoit dans les lauriers de Daphné au bord du Ladon. Cette belle nuit rappelle à la mémoire de Cymodocée cette autre nuit qui la conduisit auprès du jeune homme semblable au chasseur Endymion. A ce souvenir, le coeur de la fille d'Homère palpite avec plus de vitesse. Elle se retrace vivement la beauté, le courage, la noblesse du fils de Lasthénès ; elle se souvient que Démodocus a prononcé quelquefois le nom d'époux en parlant d'Eudore. Quoi, pour échapper à Hiéroclès, se priver des douceurs de l'hyménée, ceindre pour toujours son front des bandelettes glacées de la vestale ! Aucun mortel, il est vrai, n'avoit été jusqu'alors assez puissant pour oser unir son sort au sort d'une vierge désirée d'un gouverneur impie ; mais Eudore triomphateur et revêtu des dignités de l'empire, Eudore, estimé de Dioclétien, adoré des soldats, chéri du prince héritier de la pourpre, n'est-il pas le glorieux époux qui peut défendre et protéger Cymodocée ? Ah ! C'est Jupiter, c'est Vénus, c'est l'amour, qui ont conduit eux-mêmes le jeune héros aux rivages de la Messénie ! Cymodocée s'avançoit involontairement vers le lieu où le fils de Lasthénès avoit achevé de conter son histoire. (François-René Chateaubriand, "Les Martyrs", Livre XII)>>.


(c) "Ulysse", le célèbre roman de l'Irlandais James Joyce, qui a modifié les règles de l'écriture littéraire, est écrit avec un point de vue et un style (médiéval, épique, sans ponctuation) par "chapitre" ou "épisode".


- <<Joyce l'a répété, il a écrit son livre de dix-huit points de vue qui sont autant de styles différents. C'était favoriser l'idée d'une traduction collective, dont l'avantage est d'éviter que le recours à un seul traducteur, si brillant fût-il, ne donne à la lecture de l'oeuvre un infléchissement trop personnel et que le texte ne résonne que d'une seule voix. (James Joyce, "Ulysse", nouvelle traduction, Gallimard, 2004, "Ecrire après Joyce", explications des traducteurs, pages 1165-1166)>>.






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Auteur.

Hubert Houdoy

Mis en ligne le Lundi 30 Juin 2008



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