(a) Le médecin et alchimiste Paracelse appelait <chaos> ce que le chimiste anglais Robert Boyle rebaptise du terme <air>. Le chaos désigne tantôt une situation sans l'homme (chaos structurant), tantôt une situation sans ordre (chaos primordial), tantôt une situation complexe (chaos mathématique).
- <<- Il y a pourtant dans ce tiers état, répliqua Boisberthelot, des hommes estimables. Tenez, par exemple, cet horloger Joly. Il avait été sergent au régiment de Flandre ; il se fait chef vendéen ; il commande une bande de la côte ; il a un fils, qui est républicain, et, pendant que le père sert dans les blancs, le fils sert dans les bleus. Rencontre. Bataille. Le père fait prisonnier son fils, et lui brûle la cervelle.
- Celui-là est bien, dit La Vieuville.
- Un Brutus royaliste, reprit Boisberthelot.
- Cela n'empêche pas qu'il est insupportable d'être commandé par un Coquereau, un Jean-Jean, un Moulins, un Focart, un Bouju, un Chouppes !
- Mon cher chevalier, la colère est la même de l'autre côté. Nous sommes pleins de bourgeois ; ils sont pleins de nobles. Croyez-vous que les sans-culottes soient contents d'être commandés par le comte de Canclaux, le vicomte de Miranda, le vicomte de Beauharnais, le comte de Valence, le marquis de Custine et le duc de Biron !
- Quel gâchis !
- Et le duc de Chartres !
- Fils d'Egalité. Ah çà, quand sera-t-il roi, celui-là ? (Victor Hugo, "Quatre-vingt-treize", 1874, Partie I, Livre II, Chapitre III, Noblesse et roture mêlées)>>.
(b) Dans la mythologie grecque, le chaos primordial est la situation initiale du monde avant l'intervention du héros fondateur qui le structure en un cosmos. Zeus met fin à un monde primordial, absurde, dans lequel Cronos dévorait ses propres enfants. Chaos n'est presque pas personnifié. Il est plutôt le vide béant d'où sont sortis la Terre (Gaia), le Tartare, les Ténèbres (l'Erèbe) et la Nuit (Nyx). Selon certains, l'Amour (Éros) sortit de Chaos. Généralement on le considère comme le fils d'Aphrodite. La Terre (Gaïa) est le solide qui engendre le Ciel (Ouranos).
(c) Cette vision fait peu de cas de la production de la nature par la nature pendant les milliards d'années qui nous ont précédé. Cette vision de la nature, produite par la culture naissante, refoule les caractéristiques auto-organisationnelles du chaos structurant.
(d) Dans la mythologie, les humains projettent sur la nature externe les désirs de la nature interne qu'ils refoulent en eux. Rétrospectivement, la culture impose à la nature la nécessité d'un projet fondateur, d'une pensée organisatrice préalable (logos, dieux, Dieu, logique, idées, lutte des classes). Ainsi s'opposent un principe refoulant et un support préalable refoulé :
- dans la représentation de la réalité : la culture et la nature ;
- dans la représentation de chaque individu : le verbe et la chair.
(e) En 1974, Li et York on introduit le terme de chaos pour désigner de nombreux phénomènes étudiés par la dynamique non-linéaire.
(f) Depuis, le chaos mathématique ne se confond plus au chaos primordial. Que le réel soit chaotique ne nous empêche pas d'y reconnaître des formes et de les nommer.
- <<Un des problèmes centraux posé à l'esprit humain est le problème de la succession des formes. Quelle que soit la nature ultime de la réalité, il est indéniable que notre univers n'est pas un chaos ; nous y discernons des êtres, des objets, des choses, que nous désignons par des mots" (René Thom, "Stabilité structurelle et morphogenèse", 1972, page 17)>>.
- <<Au cours des deux dernières décades, on a reconsidéré la problématique du chaos dans les sciences physiques. On a ainsi admis l'existence du chaos dans la Nature, y compris dans des systèmes qui étaient perçus comme ordonnés et stables, donc prévisibles et contrôlables (le système solaire par exemple). Une nouvelle branche scientifique est donc née dans les années 90 : la physique du chaos, spécialisée dans les systèmes dynamiques de la Nature, obéissant à des équations de type non linéaire ; le résultat obtenu par ces équations n'est pas une fonction linéaire des facteurs inclus dans l'équation, mais elle donne naissance à de nouveaux facteurs de désordre, à l'imprévisible et, par conséquent au chaos. La théorie du chaos affirme que la beauté de la Nature, avec son énorme polymorphisme, n'est pas assujettie à des lois complexes mais provient de procédures très simples, bien que de type non linéaire. Par exemple, la molécule d'eau est extrêmement simple, mais si elle se congèle et s'unit à d'autres molécules, elle donne naissance aux formes complexes des cristaux de neige dont aucun n'est parfaitement identique à l'autre. (Jorge Alvarado Planas, "L'esthétique du chaos", document du web)>>.
(g) Ces formes que nous pouvons lire, ont des lois, parce qu'elles génèrent et subissent des contraintes au sein d'elles-mêmes. Comprendre la dynamique des formes, c'est remettre, dans l'objet, ce que depuis Newton, l'analyse mathématique avait éliminé (la géométrie). Comprendre la dynamique des formes, c'est reconnaître que les descriptions linguistiques du sujet supposent de s'appuyer sur des formes saillantes contenues dans (ou proposées à la perception du sujet par) l'objet.
(h) Le chaos est le désordre de la pensée et des sentiments, par exemple sous l'effet du doute et de la jalousie :
- <<Black chaos is come again. (Shakespeare, "Vénus et Adonis", strophe 170)>>.
- <<Chaos is come again. (Shakespeare, "Othello", Acte III, Scène III)>>.
(i) Un chaos est un ensemble complexe de mécanismes multiples, plus ou moins indépendants mais interagissant entre eux, dont la complexité résultante ne peut se décrire dans une thèse qui lui donnerait un sens unificateur.
(j) Un chaos est une globalité dont la réduction par l'abstraction donne la caricature d'une totalité, fut-elle dialectique.
- La thèse monadique de Leibniz explique que "tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles".
- La thèse de Hegel explique le développement de l'esprit par la formule christique le Verbe se fait chair.
- La thèse de Karl Marx tente de réduire l'Histoire à celle du développement des forces productives et des épisodes la lutte des classes.
- La thèse de Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955 ; "L'Apparition de l'homme", posthume 1956, L'Avenir de l'homme", posthume 1959, "Le Phénomène humain", posthume, 1955) fait de l'évolution et de l'histoire un processus d'hominisation pour rejoindre l'alpha et l'oméga.
- <<Ses dernières lettres de prison ont rendu Bonhoeffer célèbre. Il s'y interroge sur ce que devient Jésus-Christ dans un monde sans religion, sans besoin ni de métaphysique ni d'intériorité. «Comment le Christ peut-il devenir le Seigneur des non-religieux ? Y a-t-il des chrétiens sans religion ?» (30 avril 1944). Ces questions se rattachent à l'oeuvre entière de Bonhoeffer, qui considère l'incarnation comme l'unité, sans séparation ni confusion, entre Dieu et la réalité. Le christianisme n'est donc pas une religion d'évasion, une gnose pour «candidats au ciel» selon l'expression de Feuerbach. Mais il n'est pas non plus une réduction pragmatique de la réalité à son chaos discontinu. Dieu est en Jésus-Christ la structure et le milieu du réel. Jésus-Christ est Dieu devenant homme pour se rendre responsable comme homme devant Dieu de la totalité des êtres et des choses. (Encyclopaedia universalis, article "Dietrich Bonhoeffer")>>.
(k) La prise du pouvoir par les nazis et Adolf Hitler est une stratégie de "chaos dirigé".
- <<Eberhard Bethge a qualifié de « chaos dirigé » la politique planifiée des nouveaux dirigeants, pratiquée les premières semaines de cette période. La terreur des SA se répandait sans encombre dans les rues. Hitler fit arrêter et maltraiter ses adversaires les plus en vue, qui ne s'étaient pas enfuis à temps à l'étranger. Par ailleurs, il tenait des discours, transmis par la radio, où il louait les groupes conservateurs et où il déclarait avant tout aux deux Églises que leur coopération était indispensable à la reconstruction de l'Allemagne. Il pouvait même recourir à des accents franchement religieux, comme le prouve déjà son discours radiodiffusé du 1 er février : "A présent, peuple allemand, accorde-nous quatre années et ensuite tu nous jugeras ! Nous allons nous mettre à l'oeuvre, fidèle à l'ordre du Maréchal. Daigne le Dieu Tout-Puissant nous accorder sa grâce, diriger notre volonté, bénir nos projets et nous dispenser la confiance de notre peuple. Car ce n'est pas pour nous que nous allons nous battre, mais bien pour toute l'Allemagne ! " (Ferdinand Schlingensiepen, "Dietrich Bonhoeffer, 1906-1945, Biographie", Munich 2005, traduit de l'allemand par Charles Chauvin et Raymond Mengus, Salvator, Paris, 2006, page 147)>>.
(l) La théorie du chaos fait diverger les conditions nécessaires de la condition suffisante.
- <<Et voilà qu'une idée merveilleuse apparaît : dans le cas de l'utopie, on reproduit, dans un espace organisé, des conditions lourdes : institutions, économie, échanges, lien social, religion, etc. Au contraire, dans le cas de l'uchronie, il ne s'agit que de la légèreté de l'événementiel. Une toute petite chose. Le bout du nez de Cléopâtre, les voix, presque inaudibles de Jeanne, deux phrases tronquées dans la dépêche d'Ems... Ce minuscule événement déclenche des suites géantes dans l'histoire. Curieusement, l'utopie correspond à ce que les historiens considèrent comme sérieux ; l'uchronie à des broutilles. [...] Mais je tombe sur une vraie idée, que cette uchronie fait briller de mille feux. Question : « Que peut changer un tout petit événement ? » Réponse : « Peut-être toute la suite des choses. » Cela ressemble si fort à ce que les physiciens découvrent avec la théorie du chaos que les historiens devraient, je crois, s'adonner, de temps en temps, à des jeux de ce genre. Autrement dit, l'économie, la stratégie, les institutions, le droit, etc., sont les conditions lourdes et nécessaires de l'histoire, tandis que, dans le petit événement, dans le fait que Jeanne laisse ou non la quenouille, avons-nous trouvé, en cette circonstance minime, la condition légère et suffisante de la suite ? [...] j'appellerais volontiers la légèreté de cet événement la « condition suffisante ». Les conditions nécessaires sont lourdes, mais banales et non décisives, alors que la condition suffisante, petit événement léger comme une plume, décide, quant à elle, de l'histoire à venir. (Michel Serres, "Petites chroniques du dimanche soir", entretiens avec Michel Polacco, Le Pommier, France Info, 2006, page 116)>>.
(m) Voir Catastrophe. Cataclysme. Déluge. Dimension non-entière. Flocon de neige. Fractales. Horreur du vide. Koch. Mandelbrot. Mise en réseau des connaissances. Objet fractal. Récursivité. Récursivité formique.
(n) Lire "Réseaux Nomades". "Souris Hommes".
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Mis en ligne le Vendredi 27 Juin 2008
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