Dépersonnalisation sans angoisse

Commençons par le contraire !

(A) Dépersonnalisation avec angoisse.

(a) La dépersonnalisation est accompagnée d'angoisse quand elle est la destruction d'une totalité par une autre totalité.

(b) Cette destruction est réelle et programmée comme telle dans l'horreur des camps ou dans la torture.

(d) Une totalité, close dans une totalité, telle est la définition de la prison sans espoir.

- <<Tandis que nous marchions en titubant de fatigue entre les baraques sombres, sur le sol noir de scories, m'obsédait la certitude que, bien pire que la mort, c'était la destruction de notre âme qui était le programme de l'univers concentrationnaire. (Geneviève de Gaulle Anthonioz, "La traversée de la nuit", page 18)>>.

(e) C'est ce qu'a vécu Bruno Bettelheim à Dachau puis à Buchenwald, dès 1938. Il l'a décrit dans "Comportement individuel et comportement de masse dans les situations extrêmes", en 1943. Cette expérience lui a inspiré "La Forteresse vide" ("Empty Fortress", 1967, traduction R. Humery, Gallimard, Paris, 1969) et son projet à l'égard des enfants souffrant d'autisme à l'École Orthogénique de Chicago.

(f) Certains aspects de cette destruction, et du vide de celui qui l'impose aux autres, sont bien montrés par le film "La Liste de Schindler".

(g) Voir Camp de concentration. Vouloir la peau.

(B) Dépersonnalisation sans angoisse.

(a) Au contraire de cette horreur imposée, la dépersonnalisation sans angoisse est recherchée, pour ses bienfaits, dans la méditation.

(b) La dépersonnalisation sans angoisse est une forme contrôlée de perte du sens de la personne (ego), qui ne s'accompagne pas d'angoisse.

- <<Lorsque les sages parlent de <non-moi>, lorsqu'ils proposent aux gens de se libérer de leur ego, ils se réfèrent à une forme de dépersonnalisation, celle-ci n'étant cependant pas associée aux états d'angoisse que l'on peut associer chez les gens souffrant de graves problèmes psychologiques, telle la psychose. (Manon Arcand, "S'initier à la méditation", page 52)>>.

(c) On peut en trouver une illustration dans un autre domaine. C'est l'équilibre auquel parvient Robinson Crusoé dans sa solitude. Pour parvenir à ce résultat bénéfique, il a fallu qu'il se débarasse d'un certain nombre d'idées fausses.

(d) Par la mise en valeur mutuelle de ses potentialités et de celles de l'île du Désespoir, Robinson Crusoé échappe à la définition statique de deux totalités emboîtées, étrangères l'une à l'autre. C'est pourtant ce qui se passe dans les premiers temps de son naufrage. Il est enfermé dans l'île comme il est prisonnier de ses idées reçues sur le monde.

(e) Cet abandon de son identité statique (culture ethnique), sans emploi, le fait simultanément échapper à l'angoisse d'un lieu désolé, sans contacts.

(f) Pour ne pas être un individu citadelle emprisonné dans une île isolée, une totalité enfermée dans une totalité, Robinson a du sortir de la totalité. L'ouvrage de Daniel Defoe, basé sur le récit véridique d'Alexander Selkirk, décrit très bien ces étapes.

(g) Dans la période de l'île du Désespoir, sa vision culturelle de l'absolu chrétien lui faisait imaginer Dieu à l'extérieur. C'est comme cela que, dans la société humaine, les intermédiaires officiels entre Dieu et les hommes (les prêtres des Catholiques, les pasteurs de Protestants) présentent la situation. Robinson se sentait très loin de ce monde. Loin des hommes, il était loin de Dieu. Perdu, il était aussi damné.

(h) Cette dépersonnalisation sans angoisse est une ouverture à la globalité.

(i) C'est dans cette mesure que, comme Geneviève de Gaulle Anthonioz à Ravensbrück, Robinson a retrouvé Dieu à l'intérieur.

(j) Le terme <Dieu> est en tout cas le mode de dénomination pour l'espoir que ressent Robinson après ses exercices de méditation en actes. Ce Dieu est peut-être la boîte de Pandore en l'absence de Pandore.

(k) Autres formulations. Platon ("Apologie de Socrate"), les philosophes de l'absurde (Albert Camus) et les romanciers du nihilisme (Fédor Dostoïevski) ont décrit des formes de la dépersonnalisation sans angoisse.

- <<L'indifférence et la dépersonnalisation. On l'aura constaté, les formes de l'indifférence que nous évoquons maintenant se rapprochent de plus en plus du détachement. Et, dans ce sens, j'en viens maintenant à une forme d'indifférence qui peut être considérée comme une absence à soi-même et même une dépersonnalisation. Pour la caractériser, je partirai de l'exemple de Meursault, le héros et narrateur du roman d'Albert Camus "L'étranger". Peut-on dire que Meursaut soit indifférent à tout ? Meursaut, aime-t-il sa mère ? Pourquoi a-t-il tué cet Arabe qu'il ne connaissait pas ? On ne sait pas. Est-il un monstre ou un «innocent», un peu comme l'Idiot de Dostoïevski ? Au fond, ce qui caractérise Meursaut, c'est qu'il parle de lui avec la même indifférence et le même détachement que s'il était un autre. Meursaut est étranger à ce qui se passe. Il est aussi étranger à lui-même. C'est ce qu'a bien compris Sartre quand il compare la «conscience» de l'Étranger à une vitre qui serait transparente aux choses et opaque aux significations. Il n'a d'opinion sur rien. Il ne ressent rien face aux autres et aux événements qui surviennent dans sa vie. Meursaut semble un automate pris dans une mécanique. Même quand il dit «je», il est un élément neutre au récit. Il est une «non personne». Il est transparent. L'indifférence est ici une forme de détachement par rapport au moi. On cesse d'être sujet, volonté et même liberté. Le «moi» se dissout. C'est un sentiment que l'on peut aussi éprouver à la suite d'une fatigue qui éreinte le corps ou d'une grande lassitude qui dissout l'esprit. On devient indifférent et insensible à tout. Alors que dans l'ennui et l'angoisse, on est encombré par son moi, dans l'indifférence et la lassitude, on est comme absorbé par la vanité de toutes choses et la «tendre indifférence du monde». On est un bouchon porté et emporté par la vague des circonstances. Comme le dit Simone Weil : «Ce que nous croyons être notre moi est un produit aussi fugitif et aussi automatique des circonstances extérieures que la forme d'une vague de la mer». On n'agit pas, on est agi. Nous sommes là très proche de ce que la Bhagavad Gita appelle l'«action non agissante». L'action se fait en soi sans venir ni de soi ni d'une décision personnelle. Elle n'est pas un acte personnel. Parvenir à cette «action non agissante». vous rend proche du «nirvana». « Celui qui peut voir l'inaction dans l'action et l'action dans l'inaction, celui-là est sage parmi les hommes. Il est indifférent au succès et à l'insuccès. Même en agissant, il n'est pas lié.» (Bhagavad Gita IV, 18,20-21). Selon Roger Bastide, l'ascèse vers l'indifférence et la dépersonnalisation est une caractéristique de la vie mystique. Et cette ascèse est progressive. La première étape est l'indifférence au désir ; puis vient l'indifférence au discernement et au jugement, ce qui fait disparaître toute vie intellectuelle et ne laisse subsister que la vie affective. Une troisième étape permet de se délivrer de cette dernière, à la fois par l'indifférence à l'opinion des autres et aussi par l'indifférence aux autres. Il ne reste alors qu'une sourde conscience coenesthésique et physiologique de soi-même. Enfin celle-ci peut elle-même disparaître dans une indifférence et une impassibilité absolue. On peut tenter plusieurs explications de ce processus de «dé-création de soi». On peut y voir une perversion et une disparition de l'instinct de conservation qui conduit vers une dissolution de la personnalité. On peut y voir aussi une forme de régression vers un état quasi foetal. On peut y voir également la perte de l'élément social de la personnalité. (Alain Houziaux, "L'indifférence, la désinvolture et le détachement", document du web, 14 mars 2005)>>.

(l) Voir Effets bénéfiques de la méditation. Méditation. Méditation et religion.

(m) Lire "Initier Méditation". "Mise Mutuelle". "Robinson Crusoé".

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Auteur. Hubert Houdoy Mis en ligne le Mardi 27 Mai 2008

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