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Réseau d'Activités à Distance

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De la discussion à la coopération


* Résumé: Ce document décrit mon expérience de modérateur de la liste de discussion sur le Télétravail organisée par l'AFTT (Association Française du Télétravail et des Téléactivités). Une liste de discussion est le degré zéro d'une organisation virtuelle, tant qu'elle se limite à des bavardages de machine à café. Sous l'impulsion de ses membres les plus actifs, généralement télétravailleurs indépendants, elle se transforme lentement en une organisation virtuelle plus coopérative et productive.

* Plan

Introduction

A. Naissance et Chronologie

B. Thèmes et Repères

C. L'organisation virtuelle

D. L'ouverture sur l'extérieur

Conclusion


* Introduction

Il n'est pas facile de faire un travail d'historien pour un processus qui n'a que quelques mois d'existence. La difficulté est renforcée quand on est plus acteur que spectateur. Mais, à en croire Freud, beaucoup d'autres métiers (parents, éducateurs) sont impossibles. Alors pourquoi ne pas accepter cette mission?


* A. Naissance et Chronologie

Cette première section décrit les prémices et les cinq premiers mois d'existence de la liste de discussion sur le Télétravail organisée par l'Association Française du Télétravail et des Téléactivités. Pour faire bref, elle sera dénommée "liste AFTT" ou "la liste", dans le cours du texte.

1. Parrainage Européen.

La liste AFTT participe à un Projet Européen (European Telework Development, ETD) de promotion du télétravail, du télécommerce et des télé-activités. A ce titre, elle utilise une technologie et un support logistique situés en Grande Bretagne (ETO). Mais il apparaît que, si les marchés mondiaux de marchandises et de capitaux sont des réalités majeures, les obstacles linguistiques et les particularismes nationaux sont un frein à une discussion soutenue sur ces thèmes. Dès que l'on quitte les généralités, les problèmes concrets trouvent des solutions très diverses selon les réglementations et les coutumes nationales. Il suffit de rentrer dans des problèmes juridiques ou sociaux pour constater que nous vivons dans des mondes cloisonnés. D'où l'intérêt de discussions nationales plus précises. Par ailleurs, la discussion sur le télétravail ne peut se confondre avec les très nombreuses discussions sur ses outils (e-mail, web, groupware, etc.).

2. Contacts entre listes nationales

Dans un premier temps, du fait d'une antériorité britannique dans le développement des télé-activités et d'un plus grand usage international de la langue de Shakespeare, une discussion européenne sur le télétravail et en langue anglaise a été initiée par Horace Mitchell, Ian Simmins et Peter Scales, du groupe ETO (European Telework Online). A ce jour, (21-11-1997) cette liste a plus de 400 inscrits, parmi lesquels 251 personnes ont envoyé un message ou plus, parfois pour dire "Je quitte la liste". Sur cette base de matériels, de logiciels et de contacts, se développe un réseau de discussions nationales, soit pour des problèmes de compréhension linguistique, soit pour coller aux particularités nationales. La liste anglophone a donc servi de vivier pour d'autres listes. Par exemple, la création de la liste italienne, présidée par le sociologue Patrizio Di Nicola de l'Université de Turin, a provoqué une vague de transferts. Aujourd'hui, la liste de discussion en langue anglaise reste un point de contact entre les listes nationales européennes.

La France a été longue à mettre en place des listes de discussion ou des forums en français. Pour éviter ce dangereux retard j'avais créé ma propre liste de discussion. J'envisageais de la fédérer avec d'autres initiatives. C'est ainsi qu'en Mars 1997, je fus contacté par Sylvie Reforzo (article sur le RAD pour Cyberworkers) puis par Cyril Slucki. Nous avons échangé de nombreux messages, et même des coups de téléphone (personne n'est parfait). Nos discussions portaient sur la création d'une ou de plusieurs listes, francophones ou multilingues. Sur quel liste fallait-il un modérateur? Comment organiser la fertilisation croisée entre les listes? Et c'est ainsi qu'est né le newsgroup <fr.biz.teletravail>. Mais la technique du newsgroup, vite adoptée par les fanatiques de la technique, ne me paraît pas propice à la sensibilisation progressive d'un public français trop réticent. Or c'est le grand public qu'il faut convaincre plutôt que les convaincus.

3. Généalogie de la liste

Dès la création du Réseau d'Activités à Distance, en Septembre 1996, j'ai activement participé à la discussion en anglais. Nous avions un groupe de réflexion, modéré par Alan Mc Cluskey, sur la création d'activités rémunérées et à distance. Ce fut l'occasion de dialoguer avec plusieurs experts mondiaux du télétravail. Parmi eux, l'inventeur du mot et du concept: Jack Nilles (Jala International).

C'est en Avril 1997 qu'Horace Mitchell, coordinateur ETD en Grande Bretagne, suggérait à Nicole Turbé-Suetens, coordinateur ETD pour la France, de créer une liste de discussion française ou francophone. Il proposait un réseau de collaboration entre listes. Le but était d'accroître la synergie du télétravail en Europe. Horace indiquait mes coordonnées à Nicole. Il me proposait comme modérateur éventuel. D'où un échange de courriers électroniques. Et même, un rendez-vous téléphonique ! Et c'est ainsi queNicole Turbé-Suetens m'écrit, le 3 Mai 1997: <<Je vais ouvrir une liste de discussion en français et je voudrais vous proposer d'en être le modérateur. Est-ce que cela vous tente ?>>. J'ai accepté le jour même.

4. Choix de la technologie

La technologie utilisée par la liste AFTT est celle de la liste ETO. Il s'agit d'une technique de rediffusion de messages électroniques, à partir d'une adresse commune utilisée par tous les participants. A la différence de certains forums en temps réel, il s'agit d'une communication asynchrone. A la différence des newsgroups, on ne va pas chercher (pull) les nouvelles, mais on reçoit (push) tous les messages. La France n'ayant pas encore une forte organisation, l'AFTT utilise la technologie britannique (Loud'n'clear) subventionnée par la Communauté Européenne.

Pour la jeune AFTT, née au Festival du Télétravail de 1997, le choix de la technologie n'est peut-être pas définitif. Il correspond à un partenariat avec nos homologues, parrains et pionniers d'outre-Manche.

Je dois dire que pour moi, la communication asynchrone est un choix. Elle permet un temps de réflexion. Elle favorise un travail d'écriture. La diffusion (push) est aussi un choix. Certes des messages trop nombreux peuvent encombrer la boite-à-lettre. Mais personne n'est obligé de s'inscrire à un grand nombre de listes de diffusion. Et c'est au modérateur de veiller à ce que les messages aient un contenu réel et un format en rapport avec celui-ci. Ce choix de l'écriture est à contre courant des discussions informelles sur internet. Mais, soyons clair, ce n'est pas le goût des discussions à bâtons rompus qui a fait de moi un modérateur.

5. Création de la liste

Le 7 Juin 1997, Jean-Philippe Gurecki, webmestre du site de l'AFTT et responsable technique de la liste de discussion m'informe par e-mail: <<Après en avoir discuté avec Nicole, je vous confirme que vous serez le modérateur>>. Les membres de la liste du RAD ont réalisé des essais techniques avec Bjorn Johansson de Loud'n'clear. Le 17 Juin, tout était OK. La liste était annoncée sur les seuls sites web de l'AFTT et du RAD. Le 2 Juillet, la liste du RAD étant sacrifiée sur l'autel de la coopération, la liste AFTT avait 28 inscrits. Le 29 Juillet, avec 35 inscrits, j'envisageais le lancement officiel pour la mi-septembre. Notre discussion estivale eut pour thème les causes du retard français. Mais la vitesse des inscriptions semblait contredire nos discussions. Nous étions 50 inscrits le 12 Août. Le Groupe VIP créé par un membre de l'AFTT et le Réseau Européen pour l'Emploi manifestaient déjà une volonté de coopération entre des organisations. Cet esprit d'ouverture a sûrement stimulé le démarrage de la liste.

6. Développement de la liste

Une annonce faite par Wanadoo (France Telecom est partenaire de l'AFTT) portait rapidement les inscrits à plus de 70. Noter que certains discutant ne sont pas tendres pour les tarifs de l'opérateur public. Début Septembre, nous étions plus de 100 inscrits sur une liste qui n'était toujours pas annoncée. Fin Septembre, suite à un mailing à 400 prospects, je comptabilisai 137 inscriptions. Nous fluctuons entre 140 et 150 depuis cette époque. Ce succès, inattendu, se traduit par un nombre important de messages. On peut situer la fourchette entre 2 et 25 messages par jour. Nous soutenons la comparaison avec notre consoeur anglophone dont les inscrits sont entre 2 et 3 fois plus nombreux. Ceci ne va pas sans poser quelques problèmes. Mais, au fait, de quoi parle-t-on sur cette liste de discussion?


* B. Thèmes et Repères

1. Thèmes récurrents

Tarif: Il faut reconnaître que les tarifs de France Télécom, ceux des fournisseurs d'accès et les avantages comparés des logiciels dédiés à internet, sans être le coeur du télétravail, font réagir au quart de tour certains membres de la liste.

Mais tout le monde n'écrit pas. Beaucoup lisent. Je chiffrerai à 25 le nombre d'écrivains et donc à 125 le nombre de lecteurs. Autrement dit, pour 1 personne qui rédige un message, 5 personnes se contentent de le lire.

Annonces: Il est toujours délicat d'envoyer son premier message sur une liste de discussion. Pour ne pas sortir du cadre, on reste assez longtemps sur le banc de touche à écouter ce qui est dit. Pour faciliter cette prise de contact, j'adresse un message de bienvenue chaque fois que je constate 5 nouvelles inscriptions. J'y indique les adresses des sites des membres de la liste qui publient des offres ou des demandes d'emploi, des offres ou des demandes de missions.

Compétences: L'affichage et la gestion des compétences est donc un sujet récurent. Mais, pour faire choc, je dirai qu'il y a autant d'informaticiens qui se proposent de programmer des bases de données que de gens disposés à remplir les formulaires qu'on leur propose. Ce paradoxe n'est pas propre à la discussion française.

Travail salarié: Le télétravail n'est plus identifié au travail à domicile. Mais beaucoup de gens viennent sur la liste dans l'espoir de trouver un emploi. La crise du travail salarié est donc un autre sujet récurent. Le développement du télétravail se situe dans cette crise. Il accompagne de nouvelles organisations du travail (projet, processus, entreprise étendue, organisation virtuelle).

Télétravail en entreprise: Le télétravail en entreprise intéresse certainement les lecteurs, mais bien peu de personnes peuvent se vanter d'avoir des expériences directes et nouvelles à raconter. Le télétravail est encore très marginal en France. Et, surtout, beaucoup de gens télétravaillent dans les grandes entreprises sans avoir de statut. Ils commencent leurs journées par un transport pour se rendre à un bureau. De là, ils travaillent à distance avec des collègues ou des partenaires qui font de même.

2. Origine géographique des inscrits

Les noms de domaines inscrits dans les adresses électroniques reflètent, en partie, l'origine géographique des membres de la liste:

France, .fr: 101

Entreprises (dont Aol, Msn, Hotmail...), .com: 26

Internet (dont Calva, ...), .net: 7

Canada, .ca: 3

Belgique, .be: 3

Espagne, .es: 3

United Kindom, .uk: 3

Organisation non lucrative, .org: 3

Grèce, .gr: 1

Maroc, .ma: 1

Nouvelle Calédonie, .nc: 1

Finlande, .fi: 1

Uruguay, .uy: 1

Italie, .it: 1

3. Fonctionnement de la liste.

Le fonctionnement de la liste est d'abord fonction des centres d'intérêt de ses membres:

a) Centre d'intérêt exprimé en priorité

Télétravail comme indépendant ou consultant: 15

Téléformation comme formateur ou auteur: 5

Télétravail comme chercheur: 2

Télétravail comme employeur: 2

Télétravail au titre de ma culture personnelle: 2

Télétravail comme salarié: 1

Télétravail comme fournisseur (matériel, services): 1

Téléactivité comme chercheur d'emploi: 1

Téléconception de produits éducatifs multimédia: 1

b) Autres intérêts cités

Téléactivité comme association (aussi cité: 7)

Téléformation comme consultant (aussi cité: 4)

Téléformation comme apprenant (aussi cité: 3)

Télétravail comme recruteur (aussi cité: 2)

Téléformation comme échange (aussi cité: 1)

Téléformation comme chercheur (aussi cité: 1)

Téléactivité comme organisation virtuelle (aussi cité: 1)

Télétravail comme étudiant (aussi cité: 1)

Il ressort que les membres les plus actifs sont des travailleurs voire des télétravailleurs indépendants.

4. Activités des inscrits.

Pour faciliter les questions, il m'est très vite apparu que les nouveaux inscrits avaient besoin de savoir ce que faisaient les membres de la liste. D'où des questionnaires répétés, dont le taux de couverture reste faible (22/150).

Approche systémique

Assistance technique

Commerce électronique

Communication dans l'entreprise

Conception Catalogue et outillage documentaire des organisations

Conception de modes d'emploi, d'aides en ligne

Correction/Relecture/Rewriting

Conseil / Consulting

Création d'entreprise

Création de manuels utilisateurs

Design produit

Développement de stratégie commerciale appliquée aux NTCI

Documentation scientifique,

Économie,

Etudes d'opportunités

Francisation de logiciels,

Formation, Formation technique,

Gestion de changement d'entreprise

Gestion de Télécentre,

Gestion des risques

Globalisation des PMEs

Illustrations

Influence des cultures nationales et régionales

Informatique générale

Internet/Intranet

Introduction des NTIC dans la pédagogie et la formation

Marketing,

Multimédia

Organisation productive

Organisations Virtuelles

Pilotage des processus

Programmation automatismes

Processus de la chaîne graphique

Processus documentaire

Rédaction, Rédaction technique

Ressources Humaines

Révision de la qualité linguistique des logiciels,

Simulation et prototypage d'appareils et de logiciels,

Sociologie des organisations et de l'entreprise:

Stratégie et planification de télécommunication

Système d'activité productive

Télémarketing

Télésecrétariat

Télétraduction

Traduction

Les métiers représentés (Informatique, Internet, Rédaction, Conseil, Traduction, Secrétariat) ont la particularité de se prêter au travail à distance.

5. La conscience d'exister

Verba passent. Scripta manent. Les paroles passent. Les écrits restent. Pourtant, la discussion par la messagerie électronique ressemble beaucoup à une discussion à bâtons rompus. Dès le 3 Septembre 1997, alors que nous avions 108 inscrits, il m'est paru nécessaire de construire et de publier sur le web, la liste géographique et celle des domaines de compétence (données ci-dessus). Il est important de laisser des traces stables de l'existence de la liste, quand chacun fait un vide salutaire dans sa boîte-à-lettres.

6. Tendre un miroir à la liste

Une liste de discussion est un être fantomatique qui n'a pas de conscience corporelle. Chacun sait l'importance du stade du miroir (Jacques Lacan) dans la construction de la personnalité. C'est encore plus important pour qui n'a ni corps propre ni corps social. D'où l'idée de tendre un miroir à la liste. L'expression est celle d'un "membre" de cette entité sans corps.

Le 30 Septembre 1997 (137 inscrits) j'adressais un questionnaire intitulé "Qui êtes-vous?". Le temps de réponse fut relativement long. Le résultat, basé sur une vingtaine de réponses, fut diffusé sous le titre "Miroir tendu à la liste". Il est régulièrement mis à jour sur le web du Réseau d'Activités à Distance.

7. Projets de développement.

Charité bien ordonnée commence par soi-même. On parle pour se faire entendre. On écrit pour se faire connaître. Certains utilisent les messages pour faire prendre l'air à leur signature publicitaire. Le 18 Septembre 1997, pour couper court à la multiplications des messages vides, j'ai proposé aux 116 inscrits de publier un document de Promotion des membres de la Liste de Discussion. Disponible à l'adresse <http://rad2000.free.fr/listaftt.htm>, ce fichier permet à ceux qui n'ont pas de site web de se faire connaître et à ceux qui en ont un de le faire savoir.

Dès le 13 Octobre 1997, Philippe Planterose <p.planterose@wanadoo.fr> d'Opératis, ressentait le besoin de résumer un débat, décousu, sur les projets de développement. << Il s'agit dès lors de structurer les thèmes des intérêts: compétences offertes, compétences recherchées, commercial collectif, commercial individuel, recherche, informations générales, informations techniques ou technologiques, informations sociales, politiques, économiques, géographiques, historiques, scientifiques, philosophiques, et suggestions, remarques, recherches de partenariat, etc... C'est ainsi que je vois le fonctionnement d'une Organisation Virtuelle, et il n'y a pas besoin d'imaginer, de concevoir ou de créer une autre O.V. que celle qui est et dans laquelle nous sommes. A moins qu'il y ait volonté de faire une Organisation Réelle et non plus Virtuelle >>. Le thème de l'organisation virtuelle était donc né.


* C. L'organisation virtuelle

1. Préciser quelques termes

Toutes formes de structures juridiques sont possibles au sein d'une organisation virtuelle. Ce n'est pas tant à la création d'UNE organisation virtuelle qu'à celle d'un RÉSEAU d'organisations virtuelles que nous pouvons travailler.

Un Travailleur indépendant, une SARL, une SA, une Association ne sont pas des organisations virtuelles mais des organisations réelles. Supposons donc que chacune a le statut correspondant à son objectif et à ses moyens du moment.

Des membres d'organisations réelles peuvent coopérer avec des membres d'autres organisations. Ils peuvent réaliser des objectifs locaux, en accord avec les objectifs de leurs organisations d'appartenance, mais sans attendre que leurs organisations créent une structure commune.

La même personne peut appartenir à une organisation réelle et coopérer à plusieurs organisations virtuelles. Cette transitivité par les individus fait des organisations virtuelles un réseau. Une organisation virtuelle n'a pas de statuts. Sinon, elle serait une organisation réelle. Mais elle a une déclaration d'intention, une charte ou un code de déontologie quelconque. Ce qui la constitue, c'est un niveau minimum d'information commune entre ses membres, des relations de confiance non pas de un à tous (la confiance de chacun avec tous n'est plus de la confiance) mais de un à un, et une complémentarité évidente des activités (selon les organisations réelles) de leurs participants.

Le réseau sociologique d'individus et d'organisations virtuelles peut être supporté par un réseau physique appartenant à une organisation réelle particulière. De même des logiciels coopératifs peuvent être proposés par des sites informatiques d'une taille et d'une réactivité suffisante. Et c'est bien le défi d'aujourd'hui de montrer, tant aux gouvernements (France Telecom n'était pas encore privatisé) qu'aux grandes entreprises de logiciel que le marché ne se limite pas seulement aux matériels, logiciels et communications pour SoHo isolées, mais pour des groupements virtuels. C'est donc une manière d'exprimer plus qu'une demande économique, une demande sociale.

2. Les désinscriptions constatées.

Depuis le 8 Septembre 1997, la liste a plus de 108 inscrits et la masse des messages commence à provoquer des désinscriptions. Je m'efforce de tenir un compte des départs et d'en connaître la raison.

En deux mois, sans que diminue le nombre global d'inscriptions, 46 personnes ont quitté la discussion. Parmi elles, 28 n'avaient jamais envoyé le moindre message. Neuf personnes avaient participé à quelques échanges. Dans trois cas, il ne s'agissait que d'un changement d'adresse. Les personnes s'étaient réinscrites avec une autre adresse. Chacune d'elles a reçu un message lui demandant ce qu'elle aurait aimé trouver dans la discussion. Dans trois cas, la personne n'avait déjà plus son adresse électronique. Vingt messages sont restés sans réponse.

Huit personnes ont invoqué le manque de temps pour lire et pour répondre aux messages. Cinq personnes ont évoqué une trop grande abondance de messages ou de discussion, ce qui n'est pas forcément synonyme. Une personne a quitté la liste parce que ses messages, purement publicitaires, avaient été refusés. L'un (CCI) voulait se faire une opinion sur la liste, pour la faire connaître (en bien) aux entreprises de sa région. Une personne espérait y trouver rapidement du travail, mais sans se faire connaître. Un autre cherchait des informations plus précises sur le télétravail. Et le dernier avait une attente très précise dans un secteur, les métiers du son, qui n'est pas représenté parmi les membres actives.

3. Difficultés rencontrées

Le turn-over des inscrits m'a poussé à recentrer les contraintes et les buts de la liste. C'est ainsi que le 20 Septembre 1997, j'adressais aux 117 inscrits un message intitulé: "Que faire de la liste?".

"Cette liste de discussion est dédiée au télétravail et aux téléactivités. La croissance des effectifs masque des abandons. Je m'efforce d'obtenir des explications:

S'il n'est pas possible de satisfaire Monsieur Toulemonde et sa femme, nous pouvons clarifier les faits, les attentes et les objectifs.

(1) Nous sommes sur Internet et nous le resterons pour garder une grande ouverture. Les organisations traditionnelles, quand elles s'équipent, regardent du cote de l'Intranet. Les techniques sont proches mais les buts ne sont pas les mêmes. Par contre, les organisations virtuelles ne peuvent se développer que sur Internet.

(2) Le télétravail salarié se fera dans le cadre d'Intranet. Les employeurs ne paieront pas les salariés pour bavarder. Par contre les plus petits employeurs seront ravis de trouver des sites web ou des hot-lines pour résoudre les problèmes techniques de leurs télétravailleurs. Nous pouvons donc développer cette activité et promouvoir les sites qui le feraient.

(3) Avant de devenir télétravailleurs beaucoup sont téléchercheurs de travail et d'information. Cette population, plus lectrice qu'écrivaine, fait partie de la cible de la liste. C'est en partie pour elle que la Communauté Européenne subventionne ETO et donc AFTT.

(4) Il est fort probable que les télétravailleurs indépendants, les micro-entreprises, associations et autres Small Office Home Office constitueront le noyau actif de la liste. Sauf exhibitionnisme foncier, ils ne continueront à le faire que s'ils y découvrent, peu à peu, une voie et des moyens de développer leurs activités (lucratives ou non, mais toujours coûteuses et fragiles)".

4. Les sites relais par thème

La discussion qui s'ensuivit porta sur le choix de la technologie. Il fallait combiner la versatilité et la permanence. Je voulais partager la responsabilité d'animateur. Je ne voulais pas tendre un seul miroir ni construire une mémoire unique de la liste. Le 13 Octobre 1997, j'adressais aux 147 inscrits un modèle de "page web pour site relais" de la discussion. Ce modèle est maintenant publié sur plusieurs sites. Ils relaient, pour les thèmes qui les motivent, le contenu des discussions. La liste des URLs des sites relais est publiée dans la page: "Organisation Virtuelle de la liste de discussion AFTT" <http://rad2000.free.fr/orgalist.htm>.

Chaque site relais est libre de faire son compte-rendu des discussions et des projets. Sous sa propre responsabilité, cela va sans dire. On utilise ainsi la motivation et l'originalité de chacun. Le coup d'envoi fut donné par Mikael Gleonnec, sur le thème de la téléformation. Il est visible à <http://perso.wanadoo.fr/mikael.gleonnec/telefor.html>.

Cette étape me parait un virage important. Elle est difficilement compréhensible dans la culture des organisations réelles. Elle participe à cette culture particulière d'Internet. Je caractériserai cette culture par une anecdote.

Dans mes toutes premières recherches sur le web, je me suis adressé à un moteur de recherche. Était-ce Infoseek, Yahoo, Alta Vista ou Web Crawler? J'ai oublié son nom. Mais, justement, cela n'a pas d'importance. Le premier moteur ne trouvant pas de texte contenant le terme indiqué, il m'a avisé qu'il interrogeait un collègue. Et le collègue a fait de même. D'où la litanie des moteurs cités ci-dessus. Jusqu'à ce que l'un d'entre eux me donne la réponse attendue: un livre écrit par un de mes ancêtres.

Je me suis alors imaginé le dialogue suivant, à la manière de Coluche:

In petto:

Et, deux secondes plus tard:

Je crois cette parabole significative d'internet et de ses organisations virtuelles. Elle laisse augurer de la transformation des marchés par les réseaux.

5. MéDoc: Messagerie et Documentation.

Quand on s'appelle AFTT et qu'on a un site web, confier la modération de sa liste de discussion à un Réseau d'Activités à Distance qui a son propre site, ce n'est déjà pas classique. Créer des relais sur d'autres sites est un pas de plus. La culture internet consiste à remplacer "ma liste de discussion" par un réseau de listes et de sites. C'est jouer à fond sur la transitivité des réseaux et de l'hypertexte.

La notion de site relais a stimulé les imaginations et favorisé les initiatives. Le 2 Novembre 1997, Bruno Lemaire <blemaire@club-internet.fr> écrivait, sous le titre "Organisation Virtuelle et Forum Virtuel", <<Suite aux discussions que nous avons eues sur les avantages comparatifs des e-mails et des forums, j'ai décidé de tester cela en vraie grandeur. En fonction de vos réactions, et de votre participation, nous verrons ce qu'il en est. La société AXXORN a accepté de mettre à ma disposition un site d'évaluation permettant: messages (avec fil de discussion) pointeurs sur sites, pièces jointes (rapatriables ou non en off-line), fonctionnalité à venir d'ici 10 jours!...>>

Il était rapidement suivi par le concept EVAS de Roger Nifle <http://www.coherences.com>, puis par un Formulaire d'inscription des compétences, géré par Raymond Banget, au Canada, à l'adresse <http://www.scsi.qc.ca>.

Le 6 Novembre 1997, sous le titre "Usons de plusieurs technologies", j'écrivais aux 149 inscrits:

"Dans le dialogue régulier de deux personnes, fabriquer sa réponse à partir du texte de l'autre, en choisissant les phrases auxquelles on choisit de répondre, est une méthode très pratique. Je l'utilise pour animer les stages du RAD. On peut créer une véritable présence.

Dans une discussion asynchrone de plusieurs personnes sur plusieurs thèmes, cette méthode est beaucoup moins adaptée. C'est pourquoi il est important que chacun reconstruise l'unité de son propre message, sans se cacher derrière le fouillis du précèdent.

Il n'est pas question de changer la technique de cette liste. La messagerie n'est qu'un élément dans une panoplie. Mais c'est le notre, pour des raisons de partenariat européen. Les sites relais se chargeront, justement, de faire le tri par thème ou par projet. Les responsables de sites relais, se trouvent, de facto, en position de co-modérateurs. Et rien n'interdit deux sites relais de mettre l'accent sur des aspects différents du même corpus de messages. Le plus important est d'alimenter le contenu et de faire avancer les projets.

Les avantages des techniques différentes utilisées par Compuserve, Cyberworkers, Bruno Lemaire et tous les autres qui se consacrent au télétravail, c'est que, justement, elles sont différentes entre elles et différentes de la notre. Et c'est pour cela qu'elles peuvent être complémentaires.

Je n'ai aucune intention d'utiliser une technique déjà utilisée sur un thème déjà couvert. C'est toute la différence entre la transitivité du réseau et le choc des citadelles.

Ensemble, même sans nous connaître, nous constituons un réseau d'échanges sur le télétravail. Il suffit que quelques personnes pratiquent l'insémination croisée en utilisant deux outils. C'est bien le diable si chacun de nous ne réussit pas à trouver son bonheur en parlant sur le Thème qui le motive ET avec la Technique qui lui plaît. Les sites relais sont le complément commun de ces techniques différentes. Et j'espère que certains sites seront relais de la discussion AFTT et d'autres groupes".

Cette complémentarité des messages (flux) et des documents (stock) avait suggéré le nom de code MéDoc, pour un projet de Messagerie-Documentaire, à Télémécanique, en 1988.

6. Développer les attitudes coopératives.

Ce point est peut-être le plus difficile à réaliser et à décrire. Il est un carrefour inextricable de technologies, de comportements, de contraintes économiques et de finalités politiques. Et le vocabulaire technique de chacun de ces domaines n'est jamais le mieux adapté. Par définition, les attitudes coopératives supposent une décentration de l'individu par rapport à son narcissisme primaire. Piaget situe l'acquisition de ces attitudes entre le niveau pré-opératoire et le niveau des opérations logiques de la pensée. La décentration joue sur tous les registres de la vie. Il est impossible de dissocier les dimensions morales, cognitives, affectives et pragmatiques. C'est là que la pensée et l'action se rejoignent. C'est là que nos distinctions trop dualistes (pour ne pas faire de reproche indu à Descartes) se prêtent mal aux descriptions fidèles. La décentration n'est jamais définitivement acquise. Elle entre toujours en conflit avec l'esprit de corps d'une part et le narcissisme d'autre part. C'est pourquoi ce problème est au coeur de la transformation de nos marchés en réseaux et de nos citadelles en organisations virtuelles.

Pour ne pas projeter sur la liste des analyses venues d'ailleurs, je m'efforcerai d'illustrer ce développement par des thèmes de sa discussion. L'usage de l'hypertexte dans l'enseignement et l'apprentissage, c'est-à-dire la transmission d'informations (pull) et l'assimilation de connaissances (pull), est peut-être le meilleur moyen de refléter la discussion de la liste. Ce n'est peut-être pas un hasard si ces messages ont été plus rapidement et plus largement répandus sur d'autres sites. La transmission des connaissances n'est-elle pas l'activité la plus élaborable (détour de production, Bohm-Bawerk) et la moins capitalisable (rapport social reproductible, Karl Marx) qui soit?

Un message du 3-11-97 (147 inscrits) faisait la synthèse d'une discussion sur l'hypertexte dans l'élaboration, le partage et le transfert des connaissances.

"1) L'hypertexte version web révolutionne la production collective des nouvelles connaissances. J'espère héberger sur le site du RAD les documents de travail d'un groupe de recherche. Cette publication évite des frais de transport (TGV, avion) pour les réunions de travail. Le site consultable à toute heure facilite la connaissance (mutuelle) des textes et de leurs modifications. Une intensification des échanges accélère la maturation des textes. Elle accroît la cohérence interne de toute publication collective.

2) L'hypertexte permet aussi de résoudre un problème insoluble dans le cadre de la transmission traditionnelle des savoirs. Il s'agit de la très grande variabilité des domaines de validité des discours. La Science du XIXème et l'Ecole du XXème sont restées attachées aux vérités universelles, finalement bien rares. La mécanique de Newton suppose un mouvement éternel des planètes. Nous savons, depuis Poincaré, (problème des trois corps), au tournant du siècle, qu'il ne s'agissait que d'une illusion. Nous pouvons expliquer l'amorce des glaciations par des mouvements, véritablement déterminés mais apparemment erratiques, de la terre autour du soleil. Là où un traité se doit d'être concis, un ensemble d'hypertextes peut entrer dans tous les détails voulus. Il se développe par foisonnement. Un hypertexte est un éternel brouillon. Il peut être publié avant d'être terminé. Il change complètement l'image statique et définitive du savoir. Il permet d'entrer dans les doutes de toute vraie conjecture.

Bien sur, quand on dispose d'outils plus puissants, on procède de même par la modélisation. Un modèle météorologique, de plus en plus précis, reprend les résultats d'une modélisation grossière (grandes masses d'air). Il les applique à des masses d'air plus fines. Il les situe sur un territoire mieux défini. Il aboutit, au fur et à mesure de ses affinements, à des résultats très différents des précédents". Loin des arguments d'autorité et des intimidations technologiques, il permet une science qui dialogue.

7. Créer la confiance.

Mais une telle écriture collective ne motive pas tout le monde. Les centres d'intérêt, les priorités et les urgences ne sont pas les mêmes pour tous. Chaque fois qu'une discussion démarre, elle relie des participants autant qu'elle exclut ou irrite des impatients.

C'est que dans la vie quotidienne des organisations entassées, il y a quelques discussions thématiques (débat, travail) et beaucoup de discussions sans thème (loisir, bavardage). Il y a des lieux pour le travail (bureau) et des lieux pour la distraction (cantine, machine à café).

Pour une liste de discussion, il y a bien un intérêt commun, mais tellement de manières de l'aborder. Et l'attrait de la discussion n'opère pas aussi fortement que la contrainte de revenu ne pousse à se lever chaque matin. Autrement dit, les organisations réelles ont de fortes contraintes pour réunir des personnes différentes dans un même lieu. Elles doivent, en contrepartie, organiser des exutoires (fêtes, sorties, voyages) et tolérer des zones de transition (machine à café, mise en route matinale, week-end anticipés). A l'inverse, une liste de discussion qui n'a pas encore réussi à se doter de thèmes de travail, doit éviter de servir d'exutoire aux organisations réelles.

Ce fut l'objet d'une mise au point, le 27-10-97 (145 inscrits), sous le titre: "De la machine à café à l'organisation virtuelle".

"N'y voyez pas d'impatience ni de despotisme particulier. Mais le télétravail, les relations de confiance entre télétravailleurs indépendants, entre télé-employeur et télé-employé ne pourront se faire qu'a partir des outils de communication qu'ils ont quotidiennement à leur disposition. Essentiellement l'e-mail. Car si les outils de communication deviennent plus coûteux que les mètres carrés de bureau, le télétravail n'a aucun sens économique.

Les messages que nous échangeons sont les moyens par lesquels nous pouvons établir ou non des attitudes ou des comportements coopératifs. On dit que 20 pour cent de la communication face-à-face est une communication verbale et 80 pour cent une communication non verbale. Mais il en va de même pour la messagerie électronique. A côté de ce que nous cherchons à dire, il y a toute la manière dont nous l'exprimons. A commencer par toutes les gênes (fautes de frappe, d'orthographe, mise en page douteuse) à la lecture et à la compréhension que nous laissons dans notre communication.

Nous faisons tous des erreurs: lapsus, émission malencontreuse d'un message avant d'avoir fini de le rédiger, erreur d'adresse ou de destinataire. Mais, parmi nos correspondants, comment choisirons-nous nos éventuels collaborateurs techniques ou partenaires commerciaux si ce n'est par ce que nous savons d'eux par leurs messages. Et par exemple du respect des règles que nous nous donnons nous-même.

Il me semble donc qu'il est temps de mettre le contenu et la forme de nos messages en accord avec nos intentions d'explorer les voies d'un développement possible du télétravail et des téléactivités, sachant que nous n'aurons pas l'exutoire des organisations traditionnelles pour évacuer toutes les petites rugosités accumulées jour après jour.

Il ne faudrait pas que notre liste de discussion soit l'externalisation de la machine à café des entreprises traditionnelles. Il vaudrait mieux qu'elle puisse être un exemple de création de formes de coopération entre des gens séparés tant par la distance que par la différence des métiers et des statuts sociaux". C'est pourquoi la question des relations avec les organisations réelles est si importante pour une organisation virtuelle.


* D. L'ouverture sur l'extérieur

Les contacts avec l'extérieurs sont encore peu nombreux. Pourtant, des organisations se connectent sur la liste pour observer les attentes technologiques, économiques et sociétales de cette population française voire francophone.

1. L'intérêt des chercheurs en ergonomie cognitive ou en linguistique

Les chercheurs en ergonomie cognitive ont beaucoup de difficulté à observer ce qui se passe dans les têtes. Ils doivent inférer les raisonnements à partir des comportements qu'ils peuvent filmer, des traces écrites qu'ils peuvent récupérer, des verbalisations qu'ils peuvent susciter et des explications a posteriori qu'ils peuvent demander. Pour ceux qui s'intéressent à la conception collective et aux activités coopératives, une liste de discussion est une aubaine. Puisque tout se passe par la messagerie électronique, l'observateur scientifique inscrit à la liste a le même corpus d'informations que chaque participant. Certes, des dialogues privés peuvent se dérouler en aparté, mais ils échappent autant au collectif qu'à l'observateur.

Parmi les chercheurs en sciences cognitives que je rencontre pour d'autres projets scientifiques (conception simultanée), plusieurs se sont montrés intéressés. La planification de leurs travaux n'a pas permis de concrétisation à ce jour. Peut-être faut-il alors se réjouir que la discussion n'ait pas encore réussi à devenir une véritable organisation virtuelle, sans que cette transformation ait été observée par la science?

2. Les industriels observateurs

Des industriels, des centres de recherche et différents services de la nébuleuse France Télécom observent ce qui se passe sur la liste de discussion. Des propositions de matériel ou de logiciel ont été faites, à l'occasion de l'émergence de certaines propositions de travail.

Des organisateurs de télécentres sont aussi présents sur la liste. Des industriels qui expérimentent diverses formes de travail à distance sont favorables à des échanges d'expériences. Le Groupe Schneider en fait partie. Même si ces contacts épisodiques ressemblent à certains événements fugaces qui caractérisent le vide quantique, ils sont la preuve que le télétravail est un domaine où chacun est à l'affût de la moindre expérience complémentaire de la sienne. De mauvaises langues disaient qu'il y avait plus d'experts en télétravail que de télétravailleurs. Il y a peut-être un fond de vérité dans cette formule provocatrice.

Ce que l'on peut dire, c'est que le télétravail en France ne dépasse pas le niveau des expériences pilotes. Les organisations réelles, les travailleurs indépendants, les créateurs d'activités et les téléchercheurs d'emploi qui constituent la liste de discussion n'ont pas encore trouvé la formule pour brancher leurs activités les unes sur les autres. Je crois que si les technologies ont des progrès à faire, la principale incertitude est celle qui consiste à inventer de toutes nouvelles formes de coopération qui ne soient pas prédéterminées par les traditionnelles relations client-fournisseur sur le marché. Car les organisations virtuelles sont au carrefour de deux mouvements. D'abord, celui qui consiste à mettre du réseau dans les pyramides ou de l'huile dans les rouages d'organisations en panne. Ensuite, celui qui consiste à mettre en réseau des individualités isolées en quête d'activités motivantes et, si possible, rémunératrices. Pour complémentaires qu'ils soient, ces mouvements sont rigoureusement opposés. L'un fluidifie des citadelles. L'autre rapproche des individualités isolées.

3. Complémentarité du marchand et du non marchand

Les organisations virtuelles qui se développeront sur internet doivent tenir compte d'une culture de la gratuité. Le développement de relations marchandes, hormis la vente par correspondance et la livraison électronique de logiciels, ne sera pas une transposition des relations commerciales traditionnelles. Internet est un réseau, pas un marché. Le réseau a justement la propriété d'assurer la transitivité entre le marchand et le non marchand. En témoignent des échanges de services entre sites web. Une graphiste fait des illustrations pour un site, afin de se faire connaître. Des travailleurs indépendants s'échangent des conseils de traduction. Une traductrice publie sur son site la traduction d'un texte d'un autre site. L'un gagne des lecteurs étrangers. L'autre gagne un lien vers son site à partir d'un site beaucoup plus fréquenté. Il me semble que la gratuité est une stratégie que les uns et les autres devront apprendre à maîtriser.

La gratuité pure n'existe pas. Rien n'est jamais gratuit pour tous. Le biberon est gratuit pour les enfants mais coûteux pour les parents. Il faut donc abandonner le rêve d'une économie de don généralisée. Mais la gratuité relative existe, dans la famille, dans l'entreprise, dans l'administration et dans la nation. Il faut articuler: l'économie marchande, l'économie capitaliste, l'économie publique, l'économie domestique et l'économie de don, pour une plus grande transitivité entre elles.

La gratuité est une stratégie comme une autre. Elle est un moyen classique d'établir des relations. C'est la logique du Don et du Contre-Don (ce qui, finalement, n'a rien de gratuit).

La gratuité définit un intérieur (sphère de la gratuité) et un extérieur (sphère de l'échange marchand). Hormis les économies d'échelles, qui font que produire 100 000 produits par jour les rend moins coûteux que d'en produire 10 par jour, la gratuité interne est la force d'une organisation réelle. On évite de faire une marge sur le dos du partenaire. On évite des problèmes de solvabilité et de liquidité. On évite des frais de comptabilisation. On évite de voir l'Etat taxer ces échanges. C'est pourquoi les relations client/fournisseur au sein de l'entreprise sont plus une image (représentation) qu'une réalité. Quand elles deviennent une réalité (un service fait du profit sur le dos d'un autre), les relations client-fournisseur amorcent un processus d'implosion.

La gratuité est certainement un type de relation entre acteurs indépendants pour constituer des organisations virtuelles. Cette gratuité est un avantage mutuel qui aide chacun à se vendre à l'extérieur. Elle s'ajoute à la synergie des compétences.

La gratuité est un investissement publicitaire. Donner gratuitement des informations (indice de sa compétence) est une forme de publicité, peu coûteuse au demeurant. Il est très cohérent de donner la part banale de ses compétences que l'on aurait beaucoup de peine à vendre.

Mais, à ce point de l'argumentation, la gratuité n'est qu'une stratégie parmi d'autres. Tout vendre, même l'heure, que d'autres prêteraient aux petites vieilles dans la rue, est aussi une stratégie de reconnaissance.

Par contre, il est bon de savoir qu'Internet a une culture de gratuité. C'est normal pour des universitaires qui sont payés par ailleurs. Contrairement au Minitel où << tu te branches, donc tu payes pour attendre>>, on ne peut débarquer sur Internet en voulant vendre sans donner à lire, à voir ou à penser.

Mais, surtout, nos pays riches ont pris l'habitude de faire payer des tas de choses qui n'ont pas de coût de production (terrain, honnêteté des fonctionnaires, pureté de l'air, vue sur le large, carnet d'adresse des hommes politiques, silence des journalistes logés par la Ville de Paris, etc).

Cela ne posait pas de problèmes à nos pays tant que les pays pauvres devenaient de plus en plus pauvres. Au fur et à mesure que le prix du café, du manioc, de l'arachide ou de l'okoumé baissait, le prix des charrues, des tronçonneuses, des tracteurs augmentait relativement (en heures de travail) tout en diminuant nominalement (en devises fortes). Nos pays gagnaient sur tous les plans (à l'import et à l'export) et Wassily Léontieff y gagnait son Prix Nobel d'Economie.

Mais depuis que 5 dragons asiatiques ont eu l'idée, saugrenue, de faire du handicap de leurs prix de vente un avantage stratégique dans la course aux délocalisations, le jeu a changé de règles. Tout ce qui coûte dans nos pays, sans créer de valeur d'usage pour le consommateur final, augmente nos prix de revient nationaux comparativement aux leurs. La course à la notabilité/ capitalisation/ valorisation/ rentabilisation profite toujours au particulier mais nous pénalise au collectif. C'est pourquoi, dans les pays riches, certains vont devoir apprendre à donner une partie de ce qu'ils vendaient. Pour assurer leur compétitivité personnelle et contribuer à restaurer celle du pays.


* Conclusion: l'oscillation entre technique et sociologique

Il est trop tôt pour dire si la liste de discussion de l'AFTT réussira le pari de dépasser le degré zéro de l'organisation virtuelle. Elle n'en est pas moins un laboratoire où se concentrent des interrogations, des espoirs, des craintes et des expérimentations de notre époque de profonds changements.

Les activités sur internet supposent certainement une approche nouvelle de la coopération et même de la socialité. Dans l'entreprise où l'on s'entasse, la socialité est conditionnée par la proximité et même le contact inévitable (ascenseur, machine à café, queue au restaurant), d'ou les discussions sans intérêt, de pure politesse, pour ne pas rester plus de deux minutes ensemble sans se parler. Sur internet, par e-mail ou par le web, il faut un thème qui motive pour lire ce qui arrive (e-mail) et surtout pour aller chercher (web, newsgroups).

La thématique construira une autre socialité que celle de l'entassement dans des immeubles de bureaux. Mais cette thématique, si elle inclut la technique (langages, protocoles, logiciels, débits, réseaux, html) ne peut se limiter à cela. Dans une société dont les formes les plus primitives (famille, ethnie) et les plus massives (religion, Etat) de la socialité sont déconstruites par le marché mondial, il est compréhensible que l'individu soit écartelé entre les contraintes de l'instrumentalité et celles de l'identité. Il est alors normal que la sociologie prenne autant de place que la technique dans une organisation virtuelle tournée vers le télétravail.

Hubert Houdoy

Créé le 4 Décembre 1997

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Mise à jour: 16/07/2003