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Travail immobile

"Alors que le capital est devenu au fil des ans parfaitement mobile, alors que les ressources naturelles, énergie et matières premières, sont désormais plus aisément transportables, le travail, lui, reste relativement immobile." (Ph. Séguin)


Le travail est relativement immobile.Cette affirmation mérite quelques précisions. Tout est relatif dans ce problème. Surtout quand il s'agit des coûts comparatifs de la main-d'oeuvre.

1. Les hommes sont mobiles.

Ils ont colonisé les continents américain et australien. Les pays européens ont su faire venir la main-d'oeuvre de leurs anciennes colonies. L'exode rural se poursuit. L'immigration, légale ou clandestine, fait plus de candidats que d'élus. Aujourd'hui, à l'échelle internationale, ce ne sont pas les hommes qui manquent de mobilité, ce sont les pays qui réduisent leur accueil. Par contre, il existe, au sein de l'économie nationale, des exemples de refus de la mobilité. La politique d'aménagement du territoire incite à installer en province des industries, des administrations et des écoles parisiennes. La délocalisation en province a souvent provoqué des difficultés. A cela, deux raisons majeures:

2. Les emplois sont mobiles.

Il n'est plus nécessaire de transformer les matières premières sur le lieu de leur extraction. Il est possible de produire loin des lieux de consommation. Tout cela est permis par la très grande mobilité des capitaux et la bonne mobilité des marchandises.

Les pays qui réduisent leur accueil sont aussi ceux qui déplacent leurs capitaux. Les pays qui reçoivent les emplois délocalisés ne profitent pas toujours d'un véritable développement induit, car les productions ne visent pas toujours le marché local et les capitaux n'y sont pas réinvestis. Tous les pays fortement industrialisés connaissent une baisse de l'emploi sur leur territoire et un investissement de leurs capitaux dans des pays à plus bas niveau de salaire.

Les pays à fort niveau de revenu font produire dans les pays à bas niveau de salaire. Comme les différences géologiques et les différences climatiques, la différence des modes et des niveaux de vie crée des opportunités de profit pour le capital commercial.

Résumons:

* Ils s'investissent dans les pays à bas salaires.

* Ils se réalisent dans les pays à haut niveau de revenu.

3. Le travail n'aura jamais la mobilité des capitaux.

Les capitaux marchands recherchent une différence de valeurs d'échange. Faible coût d'un côté, forte demande de l'autre. C'est la logique marchande de l'achat pour la revente. Cette mobilité, purement abstraite, est impossible au travail concret. Même le travailleur individuel ne peut pas se déplacer aussi vite que les capitaux marchands. A fortiori le travail collectif. En ce sens, le travail est immobile relativement aux capitaux. Mais le télétravail réduit cette immobilité relative.

4. Le travail n'aura jamais la mobilité des marchandises.

Produits dans un pays, une voiture, un poste de radio, un ordinateur ne perdent pas leur valeur d'usage quand on les transporte dans un autre pays. Néanmoins, la voiture ne circulera pas sans réseau routier, et l'ordinateur ne fonctionnera pas sans un réseau de distribution électrique. C'est pourquoi les pays à fort niveau de vie, dotés d'infrastructures suffisantes, peuvent utiliser efficacement beaucoup plus de produits que les autres pays. Cette mobilité des marchandises isolées est impossible au travail collectif. L'organisation de la production en juste-à-temps n'est pas possible dans un pays qui ne serait pas doté d'un solide réseau routier et de télécommunications performantes. Seules certaines productions peuvent être délocalisées de manière opportuniste.

Il est illusoire de freiner la mobilité des capitaux. Il est rétrograde de freiner la mobilité des marchandises. Il est absurde de prôner la même mobilité pour le travail (ultra-libéralisme). Il est suicidaire de tout réduire à la même immobilité (protectionnisme).

5. La mobilité des marchandises est une source de richesses.

Des marchandises banales dans un pays (sel au bord de la mer, blue-jeans en France) acquièrent une grande utilité (sel loin de la mer) ou une grande valeur marchande (blue-jean à Moscou, en 1980) quand elles sont transportées dans d'autres pays. Mais le commerce n'est pas la source de toutes les richesses. Il ne contribue qu'à leur distribution.

Les capitaux marchands sont les plus mobiles de tous les capitaux. Ils sont plus facilement mobilisables que les capitaux industriels. Ils ne sont pas attachés à la terre comme les capitaux fonciers. Ils ne réalisent leur nature ubiquite qu'en se déplaçant, à la recherche des différences de valeurs marchandes. Ces différences naissent de l'hétérogénéité de l'espace productif mondial. Tous les points du globe ne sont pas identiques. C'est la réalité du territoire. Cette diversité est une source de division du travail, de spécialisation et de richesses. Le déplacement des emplois, induit par la mobilité des capitaux, donne aux pays à bas salaires des chances de développement que l'immobilité des modes de vie leur aurait refusé. En soi, ce phénomène n'est pas regrettable.

Les marchandises n'ont de valeur d'usage (utilité) que si elles correspondent aux besoins des utilisateurs locaux et aux contraintes du cadre de vie local. Le meilleur moyen d'accroître la valeur d'usage est de bien connaître les besoins de la clientèle et de la faire participer à la conception du produit.

Pourvu que les marchandises soient conçues en fonction de la diversité de leurs usages, elles peuvent être fabriquées n'importe où. C'est pourquoi, à qualité égale, elles sont produites sur les lieux de moindre coût. Mais elles ne peuvent pas être utilisées n'importe où. C'est pourquoi elles ne sont pas vendues à tout le monde. Dans la mesure du possible, elles sont conçues pour être produites dans les pays à bas salaires et pour être vendues dans les pays à fort niveau de vie.

6. Il n'est pas possible de transférer les autoroutes, les stations services, les super-marchés, les motels, les parcs de loisir, les stations de ski et les cinémas drive-in aussi facilement que les voitures qui sont à leur origine.

Un pays dont les bas salaires font baisser le coût de production des automobiles n'est pas, pour autant, capable de les acheter ni de les utiliser dans un contexte de forte valeur d'usage permettant un prix rémunérateur et une forte valorisation du capital.

Il est facile à un français d'acheter un ordinateur, un modem et de s'abonner chez un fournisseur d'accès à Internet. Il lui suffit d'acheter deux produits et un service, soit trois marchandises. Mais il ne trouvera pas, du jour au lendemain, beaucoup de français connectés et intéressés par les mêmes sujets que lui. Alors il se connectera sur des sites web étrangers. Il ne peut acheter les habitudes de ses concitoyens. Son comportement se diffusera très lentement et se généralisera très tard. La vente des marchandises est tributaire des modes de vie locaux.

Les capitaux marchands, qui jouent sur les coûts comparatifs, mettent en mouvement des catégories particulières de marchandises. Nous parlerons de marchandises spéculatives ou opportunes. Pour de telles marchandises, c'est l'écart du coût de production dans un pays et du prix de vente dans un autre qui est à l'origine de la délocalisation de la production.

Mais les capitaux ne déplacent pas aussi vite toutes les marchandises. Les marchandises spéculatives ne trouvent leur pleine valeur d'usage que grâce à de nombreux produits et services complémentaires. Nous parlerons de marchandises complémentaires. La mobilité des capitaux ne provoque la délocalisation de la production que des seules marchandises spéculatives.

7. C'est la mobilité des capitaux marchands qui a donné une taille mondiale au système productif. Ce fut le rôle des marchandises spéculatives. Il reste à organiser ce système productif. Ce sera le rôle des marchandises complémentaires.

Le système productif mondial comporte de grandes différences de niveaux de prix entre les régions ou les pays. Ces différences sont exploitables par des marchandises opportunes. D'où la prolongation de certaines délocalisations. Elles continueront longtemps à tisser des liens d'interdépendance entre les économies nationales. Mais il faut bien comprendre: les marchandises opportunes ne seront jamais qu'un sous-ensemble des marchandises.

Si toutes les marchandises étaient délocalisables nous aurions atteint le stade, improbable, d'un système productif mondial homogène. Un tel système homogène ferait justement disparaître les opportunités de profit commercial pur. Les délocalisations nous seraient aussi indifférentes que le déplacement des machines dans un atelier.

Le système productif mondial comporte aussi de grandes différences des modes de vie. Elles ne se réduiront pas rapidement. Elles sont dues aux marchandises complémentaires, peu mobiles. Encore plus immobiles sont les biens et les services non marchands. L'école laïque, gratuite et obligatoire ne se déplace pas sans ses enseignants, l'université qui les forme, le système étatique qui les organise et les citoyens qui payent les impots. La Sécurité Sociale est du même type. Ce sont plutot des personnes qui se déplacent pour en profiter.

Dans les siècles récents, la colonisation était une tentative d'exportation de l'ensemble du mode de vie. Outre son administration et son armée, la France a même exporté en Afrique Noire ses ancêtres gaulois, leurs yeux bleus et leurs huttes en bois. Les autochtones ont accepté quelques marchandises et laissé beaucoup d'autres. C'est un bon critère pour distinguer les opportunes et les autres. Le choc des cultures a provoqué un rejet toujours sensible çà et là. Mais la non rentabilité des capitaux investis aux colonies est une cause profonde de la décolonisation. Celle-ci fut un drame pour les personnes, une rupture dans les conditions de production, mais pas une catastrophe pour les capitaux mobiles. L'échec de la colonisation témoigne de l'importance des biens et des services locaux. La valeur d'usage des produits (utilité, acceptation, satisfaction, pertinence, efficacité) relève d'une toute autre logique que son coût de production (niveau des salaires). Pourtant elle détermine leur valeur d'échange (prix de vente) et la réalisation (profit) du capital investi. Le prix d'une marchandise ne dépend pas que de son coût. Il dépend aussi de son usage. L'usage d'une marchandise n'est jamais un usage isolé. L'usage est celui d'un système d'objets, de coûtumes et de règles. Cette constatation s'applique autant au monde de la production qu'à celui de la consommation. La valeur d'usage ne peut se comprendre en dehors du mode de vie.

8. L'immobilité relative est celle du mode de vie.

Même les personnes qui se déplacent ne changent pas rapidement de mode de vie. Des africains qui viennent vivre en France ne sont plus tout à fait des africains. Mais ils ne vivent pas immédiatement comme des français de souche. Et réciproquement. Mode de vie, référents culturels, système des marchandises complémentaires, institutions, type de civilisation sont les structures les moins mobiles, relativement aux capitaux, aux individus et aux marchandises opportunes. La réalité du territoire exprime cette inertie des structures, malgré la mobilité de leurs éléments individuels. Puisque les modes de vie sont différents et immobiles, ils provoquent des valeurs d'usage locales très différentes pour des marchandises dont le coût de production est identique. Si les niveaux de salaires influent sur la localisation des production, les niveaux et les mode de vie conditionnent l'efficacité de l'usage.

9. La relative immobilité du travail n'est pas cause du chômage.

L'immobilité du travail découle de la complexité du système productif et de son intégration dans un mode de vie. Les capitaux et les marchandises spéculatifs, qui déplacent les emplois de pays en pays, ne peuvent représenter qu'une partie de l'ensemble.

Sont facilement délocalisables les activités qui font l'objet d'une définition préalable stricte. Quand on implante une usine de production à l'étranger, son fonctionnement est prévu dans les moindres détails par le Bureau des Méthodes. Quand on délocalise l'écriture de programmes informatiques, on sait que la programmation répondra aux exigences d'un Atelier de Génie Logiciel. Si ces activités ont un fort coût salarial dans nos pays, elles ne résisteront pas à la délocalisation opportune.

Le chômage de nos pays riches provient d'un décalage entre la prévisibilité de certains travaux et leur rémunération. Ce décalage n'est pas nouveau. C'est sa conséquence sur l'emploi qui est nouvelle. Jusqu'à une période récente, les termes de l'échange international tendaient à le masquer. Nos salaires locaux étaient financés par les bas salaires étrangers. Le pacte colonial condamnait les pays sous-développés à l'exportation de matières premières bon marché et à l'importation de produits manufacturés coûteux. Certains pays sous-développés ont réussi à produire et exporter des produits manufacturés. Leurs bas salaires leurs donnaient un faible prix de revient. En vendant au même prix que dans nos pays riches, ils disposaient d'une rente de situation. C'est en réinvestissant cette rente dans leur industrie locale que ces pays ont réussi leur décollage. D'où les Nouveaux Pays Industrialisés (NPI). Un jour, tout en gardant leurs bas salaires, ces pays ont atteint un niveau d'infrastructure et d'industrialisation qui rendait les délocalisations opportunes. Anciens pays dominés, ils ont conquis de haute lutte les conditions de leur croissance. A nous de retrouver les vertus d'un développement que nous ne feront plus financer par les autres.

Bien sur nous devons rester compétitifs dans la production des marchandises opportunes et trouver les moyens de réagir aux pays à bas salaires qui n'ont pas toutes nos richesses accumulées. Pour développer notre plein emploi local, nous devons nous spécialiser, investir et moderniser les activités qui ne sont pas délocalisables: celles qui ne sont ni répétitives ni codifiables. Au lieu de nous focaliser sur l'arbre des activités spéculatives, regardons la forêt qu'il cache. Nous ne cherchons pas assez à améliorer ce qui ne bouge pas. C'est une grave erreur.

10. La faible productivité de notre travail est la cause de notre chômage.

Nous nous sommes trop longtemps laissé porter par les termes favorables de l'échange international. Nous avons laisser diverger le coût (salaire) et la productivité de notre travail. Notre niveau de vie ne correspond pas à notre efficacité. Une partie trop importante de notre mode de vie est consacrée à une "consummation" de pur prestige. Une forte compétence ne justifie un fort niveau de rémunération que si le mode de vie reproduit et renforce cette compétence. Elle ne saurait être acquise de manière définitive sans que les pays moins développés ne viennent nous rappeler à la réalité. Ne réduisons pas notre niveau de vie. Mettons notre compétence à la hauteur de notre niveau de vie. C'est le meilleur moyen de le reproduire durablement. Maintenant que nous ne sommes plus dopés par le travail des autres, la productivité de nos services les plus immobiles sera la cause durable de notre richesse. Ils sont la base de notre compétitivité.

11. Le chômage est accru par une mauvaise compréhension de ses causes et une inadéquation de ses remèdes.

En se focalisant sur la mobilité des seuls capitaux marchands et la délocalisation des seules marchandises opportunes, chacun croit être la victime de forces aveugles ("les marchés") libérées par des apprentis sorciers: les rares personnes qui décident des lieux de production.

En nous intéressant aux biens et services complémentaires, constitutifs de notre mode de vie, nous découvrons que notre avenir est construit par des millions de micro-décisions individuelles. Chacun d'entre nous y participe, et chaque jour de l'année. Nous ne sommes pas victimes d'un destin contraire. Nous sommes responsables de nos choix quotidiens de mode de vie. Il n'y a pas de fatalité des marchés.

Si l'on s'imagine que le chômage provient d'une trop grande productivité du système productif mondial, il n'y a aucune solution perceptible aux difficultés de notre époque. D'où les tendances suicidaires à l'abandon de la science, des techniques et de la culture.

Si l'on comprend que les délocalisations et le chômage s'expliquent par une productivité globale insuffisante, on peut imaginer des solutions. On peut spécialiser nos pays dans les activités les plus cohérentes avec notre niveau et notre mode de vie. Au lieu de nous adonner à une guerre économique suicidaire nous pouvons améliorer le système productif mondial.

12. Ce n'est pas le travail qui manque.

Ce n'est pas le travail qui manque. C'est l'affectation de nos emplois et les choix de notre consommation qui ne sont pas suffisamment productifs. Nous avons gardé de la période coloniale une perception et un comportement de rentiers. Dopés par le travail des autres nous avons perdu de vue les causes de la richesse et les moteurs de la croissance. La reproduction de nos activités immobiles, garantes de notre mode de vie, est loin d'être toujours assurée. Leur amélioration est rarement à l'ordre du jour. Il est temps de moderniser notre infrastructure sociale pour éviter qu'elle ne nous asphyxie. Notre mode de vie totalement tourné vers la consommation doit se retourner vers la créativité.

La disparition de la rente coloniale et la vive concurrence des pays nouvellement industrialisés ébranlent notre organisation économique. La technostructure ne trouve plus les conditions de sa perpétuation. Il semblerait que le travail salarié commence à trouver ses limites productives, comme jadis l'esclavage et plus récemment le servage. Ne pouvant plus distribuer le cadeau colonial, la grande entreprise n'arrive plus à susciter et maintenir la motivation et la créativité des personnes qu'elle emploie. Il faut trouver de nouveaux lieux d'insertion pour les nombreux salariés que l'entreprise ne peut plus employer. Cela exige une réflexion approfondie sur la productivité globale du système productif.

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Compléments

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Lieux d'insertion

Mode de vie

Productivité

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Mise à jour: 16/07/2003