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Glossaire Détaillé, Lettre N, numéro 07

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Glossaire Détaillé, Lettre N, numéro 06

Non-crime. La prohibition de l’inceste est la prohibition d’un non-crime. Elle est la prétendue interdiction d’un acte réellement impossible. Elle accompagne curieusement la non condamnation d’un vrai crime. La filiation, cette invention symbolique qui instaure un temps sociologique irréversible, est d’abord et avant tout un refoulement de la nature. Les règles linéaires, abstraites, imaginaires, de la filiation s’instaurent contre l’évidence du coït parental. Elles sont la négation, la dénégation (au sens freudien) de la production de la nature par la nature . La filiation est donc la prohibition de l’inceste naturel . Elle est la prohibition d’un non-crime que nous commettons tous.

(A) La prohibition de l’inceste prétend interdire un crime à quelqu’un (un bébé) qui est incapable de le commettre. Lorsque je suis enfin capable d’envisager de faire l’amour avec ma mère, il y déjà bien longtemps que la production sociale des corps m’a installé dans un système de rôles et de positions que j’ai intériorisé.

(a) Soit je couche réellement avec celle que je ne considère plus comme ma mère, mais comme une femme. Ceci suppose que j’ai réussi à construire dans mon esprit l’ image mentale d’une femme qui ne soit pas la mère phallique ou l’imago maternelle de mon inconscient. Alors:

(a.1.) Si elle est consentante, faire l’amour entre deux adultes n’est pas un crime.

(a.2.) Si elle n’est pas consentante et que je la force, je commets un viol. Pour cela il faut que j’ai déjà atteint, outre la maturité sexuelle, une certaine force musculaire ou mentale. Reste à savoir si ma société d’appartenance réprime ou non le viol. En France, la condamnation réelle du viol est très récente.

(b) Soit je ne couche pas avec ma mère parce que je la considère comme un être inaccessible pour moi.

b.1.) Mon impossibilité psychique de coucher avec ma mère ne provient pas d’un souci de ne pas réduire, par consanguinité (sens récent), la variété du patrimoine biologique de ma descendance.

(b.2.) Elle n’est pas non plus la seule femme avec qui je puisse ressentir une telle impossibilité. Donc ce n’est pas notre parenté biologique qui me bloque. C’est, au contraire, notre trop grande distance psychosociale.

(B) Dans le même temps la prétendue prohibition de l’inceste n’a nullement protégé les enfants. Car ce sont les enfants et non pas les parents qui sont à protéger d’un crime potentiel.

(a) Contrairement au risque, extraordinairement faible, du viol de la mère par le nourrisson (même Hercule ou Héraclès n’a pas violé Alcmène, sa mère ! Mais où donc Freud est-il allé cherché cela ?), ce crime est réellement dangereux.

(a.1.) Le danger de consanguinité n’est pas très sérieux, car le père incestueux ne cherche pas réellement à développer sa progéniture, mais la sensation ou l’illusion de son élévation à la puissance.

(a.2.) Par ailleurs, bien des règles de parenté permettent des situations de consanguinité bien supérieures à certaines autres qu’elles interdisent.

(b) Le véritable danger est donc l’abus de pouvoir des parents et les difficultés qu’elles entraînent pour la structuration mentale de l’enfant dans l’ordre du symbolique.

(b.1.) Le crime parental de l’inceste est bien trop souvent commis. On commence tout juste à chercher à le mesurer statistiquement.

(b.2.) Le crime parental de l’inceste est bien trop souvent impuni. La victime elle-même ne se considère pas toujours comme une victime. C’est souvent elle qui endosse la culpabilité. Car le parent incestueux, comme le pédomane, souffre justement d’un défaut de culpabilité.

(C) Autrement dit, la prétendue prohibition de l’inceste ne protège pas l’enfant du crime incestueux commis par les parents. Dans le même temps nos sociétés modernes ne protègent pas plus l’enfant du crime pédophile du pédomane qu’elles ne le mettaient à l’abri de l’ hospitalité sexuelle ou de la prostitution infantile.

(a) C’est bien le crime du pédomane qui devrait être prohibé.

(b) Car c’est le crime que commettent autant le parent violeur (violence physique) que le parent séducteur (violence symbolique ).

C’est la relation de l’adulte (qui a le droit à la parole) à l’enfant (infans, qui n’a pas ce droit) qui compte. Ce n’est pas la relation de parenté biologique. Mais l’analyse de ce crime pédomaniaque remet en cause la définition du monde du verbe et le fantasme, lui aussi trop courant, selon lequel le verbe se fait chair.

La prétendue prohibition de l’inceste est l’organisation d’un échange de femmes entre hommes . Cet échange homosexuel s’est longtemps accompagné d’une hospitalité sexuelle. Une fois de plus, cette prohibition aurait interdit un non-crime à l’enfant qui était incapable de le commettre et aurait permis aux parents de commettre tranquillement le crime du pédomane. En le laissant impuni, le monde du verbe en fait encore un non-crime.

Voir Domination. Séduction. Complexe de Laïos . Complexe d’Oedipe . Structures complexes de la parenté . Structures élémentaires de la parenté . Enfant de ça .

Non-détermination, texte. (a) Les organisations réelles contemporaines sont trop complexes et leur environnement est trop instable pour garder la représentation hiérarchique et déterministe de la bureaucratie.

(b) Les propriétés de l’action coopérative sont l’instabilité et la non-détermination.

• <<Le système social ne peut être abordé comme un système qu’il s’agit d’encadrer pour limiter l’indétermination du comportement de ses membres (p. 21)>>.
  

Voir Cadre de dépendance . Complexité. Spectacle décisionnel . Confinement.

Non-déterminisme des systèmes coopératifs , texte. (a) Il est impossible d’imposer un confinement préalable et donc déterministe aux systèmes fonctionnant sur un principe de coopération. Le non-déterminisme des systèmes coopératifs est lié à leur emploi du langage naturel . Celui-ci est à la fois un langage opératoire (comme le jargon professionnel) et un méta-langage (permettant de parler sur le contenu des messages, pour le vérifier ou le préciser).

(b) Ce non-déterminisme tient à plusieurs facteurs:

• le statut variable des interlocuteurs (instabilité structurale de Goffman),
  
• le pluri-adressage des communications ,
  
• les valeurs illocutoires multiples des messages,
  
• le caractère inférentiel des communications (Sperber et Wilson, 1986),
  
• les tropes communicationnels (Kerbrat-Orrechioni, 1990),
  
• l’écoute flottante,
  
• le partage entre les communications verbales et non verbales et le problème de leurs interprétations.
  

Voir Systèmes coopératifs complexes . Méta-linguistique.

Non-séparabilité, texte. La remise en cause du principe de séparabilité est une découverte récente de la micro-physique ou de la physique quantique. Cela ne fait pas de la vitesse de la lumière une barrière aisément franchissable. Pour les amateurs de S.F. Désolé ! La non-séparabilité n’est pas la porte ouverte aux rencontres du N ème type avec les petits hommes verts.

• <<Si, comme cela paraît s’imposer, on convient d’appeler non-séparabilité la violation du principe de séparabilité , l’on peut et l’on doit affirmer, au vu de tout ce qui précède, que la non-séparabilité est chose prouvée. Un tel résultat est à l’évidence d’une portée considérable. Il faut cependant se garder de lui attribuer, outre les significations qu’il a, des extensions qu’il n’a pas. Ici encore l’esprit critique doit rester pleinement en éveil. Une des extensions que, contrairement aux apparences immédiates, on ne peut donner à ce résultat est celle qui consisterait à vouloir en conclure qu’il est possible d’envoyer à distance des signaux utilisables qui se propageraient instantanément ou, en tout cas, plus rapidement que la lumière. (Bernard d’Espagnat, Une incertaine réalité, Gauthier-Villars, 1985, p. 107)>>.
  

Non-soi. Terme de médecine. Le système immunitaire doit être capable de reconnaître le soi du corps et le non-soi. Le problème est complexe. Donnons quelques indications:

• Le non-soi peut être un microbe, un virus ou tout autre agent infectieux .
  
• L’estomac doit être capable de digérer des viandes sans se digérer lui-même.
  
• Les greffes d’organes tentent de faire baisser la garde contre le non-soi pour éviter le rejet du greffon.
  
• Les maladies auto-immunes (psoriasis, sclérose en plaque, etc) sont des maladies dans lesquelles l’organisme réagit à un partie de soi comme s’il était un corps étranger, du non-soi.
  

Non-travail, (/travail), texte. (a) Le non-travail ne s’oppose au travail que dans une société hiérarchisée. En dehors d’un contexte de damnation (discours de Dieu à Adam), d’esclavage domestique, de servitude politique ou de subordination salariale, le travail est une activité naturelle.

(b) Si Karl Marx n’avait pas partagé la misogynie d’un Freud misogyne , sa formule: <<dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent dans des rapports...>> aurait intégré le travail et l’ amour ou le travail amoureux dans les activités productrices de l’homme. Hélas, Marx prenait très au sérieux le préjugé archéologique de son époque selon lequel seuls les instruments de transformation (pierre taillée, pierre polie, etc) et non pas les réceptacles (vases) sont révélateurs du mode de vie d’une époque. Que serait le concept marxien de “mode de production” si Marx avait pu prévoir l’usage que les archéologues contemporains font de la moindre poussière trouvée sur un lieu de fouille ? Hélas, pour lui comme pour Descartes, la femme n’est qu’un vase .

(c) Dans une société régie par la division politique du travail , les classes ou les castes des prêtres et des guerriers se livrent à des activités qui relèvent d’un non-travail (otium, loisir). Le travail productif (neg-otium) leur est interdit sous peine de déroger ou de déchoir. Il est réservé aux castes inférieures, aux esclaves ou aux serfs.

Voir Travail et non-travail . Fonction guerrière . Fonction signifiante . Idéologie tripartite . Civilisation des loisirs . Productivité masculine absolue . Formation du foetus .

Noosphère, texte. (a) Les humains n’appartiennent pas seulement à la biosphère (monde des vivants) dont ils sont issus, mais à la noosphère (monde des idées) qu’ils créent.

• (b) Le monde des idées ne se réduit pas à des abstractions ou principes généraux. En tant que représentations les idées jouent un grand rôle dans la réalité apparente qui détermine l’action de chacun. En tant que connaissances, les idées permettent des compétences et des instrumentalisations. D’où le développement du monde des artefacts (objets artificiels). Parmi ceux-ci, les ordinateurs sont une invention récente. Mais ils participent à une instrumentalisation de plus en plus grande et rapide de la noosphère.
  

Voir Modèle de l’artefact .

Normal. Terme courant autant que polysémique. Avez-vous essayé de passer une journée sans employer ce terme ? Quand un enfant dit: “C’est pas normal !”, il n’est pas sûr qu’il donne à cette expression le même sens que lorsqu’un responsable de Bureau d’Études dit à un de ses projeteurs: “Ce n’est pas à la norme !”. Pourtant, les deux expressions sont syntaxiquement équivalentes et devraient être sémantiquement synonymes. La différences des deux significations (juste, imposé) se retrouve dans les sens conjoints du mot norme.

• Juste. Si la norme est recherchée dans la nature, comme une norme naturelle , c’est au sens de l’enfant qui cherche une formulation d’une justice naturelle qui serait dans l’ordre des choses et, éventuellement, dans l’intention ou le dessein de leur créateur.
  
• Imposé. Si la norme est produite par la culture, comme une norme culturelle , c’est au sens du responsable de Bureau d’Études qui fait respecter (impose) une convention établie par des hommes, entre eux, avec une petite dose de domination et une grande dose de concertation.
  

Le mot <norme> véhicule les deux sens, juste et imposé, parce que:

• (i) ceux qui, comme l’enfant, ressentent le besoin de normes ou de conventions voient tout l’intérêt d’une norme universelle qui serait comme une seconde nature, une nature culturelle de l’homme et de ses artefacts.
  
• (ii) ceux qui, comme le responsable de B.E., font et imposent les normes ou les lois s’efforcent de les justifier au nom de l’intérêt universel ou d’une loi naturelle ou d’un finalisme quelconque. Il n’est qu’à voir les discours de justification a posteriori d’une prohibition de l’inceste à laquelle aucun homme de la période historique n’a participé.
  

La combinaison de ces deux significations (juste, imposé) dérive de l’existence de ces deux tendances dans les sociétés et dans chacun de nous. De là il faut conclure que le normal est normatif . Faute de norme naturelle, la norme n’existe que si elle est imposée. Ainsi, le normatif est dominant et la norme n’est pas normale .

Voir Domination comme principe . Normalité comme soumission . Tout le monde . Exclusion de Monsieur Toulemonde . Français moyen . Individu normal . Justice immanente . Le Créateur . La Création .

Normalement. texte. (a) “Normalement”, l’ écoulement des eaux sur une vitre verticale devrait se faire en un rideau de flux parallèles de gouttes de même taille, descendant toutes à la même vitesse.

(b) “Normalement”, le ruissellement des eaux sur les pentes des montagnes devrait produire une roue de vélo. Le sommet de la montagne serait le moyeu. Les ruisseaux seraient les rayons. Ils iraient tous en ligne droite vers la jante où se trouveraient les mers qui entourent le continent.

(c) “Normalement”, après le stade de la formation des montagnes, devrait venir celui de l’ érosion des montagnes par l’écoulement et le ruissellement des eaux de pluie. Alors, on assisterait à la formation d’une vaste pénéplaine continue descendant régulièrement du sommet de la montagne vers le fond des océans.

(d) “Normalement”, une montagne ne devrait avoir qu’un sommet, parce que s’il y en a plusieurs, ce ne sont plus des sommets. Tout ce qui n’est pas Le sommet devrait subir l’érosion et se fondre dans la monotonie de la pénéplaine.

(e) Si tout ne se passe pas normalement, c’est probablement parce que la réalité présente une plus grande complexité que ne le supposait le modèle d’intelligibilité de la science du XIX ème siècle, directement hérité de la pensée scolastique du Moyen-âge. Les tendances normales (cycle d’érosion ) trouvent des contre-tendances (orogenèse, ruissellement chaotique ) pour les contrarier et produire la variété au lieu de la monotonie.

Texte Thématique, le Modèle de l’Avalanche.

Normalisation. (a) Industrie et services. Ensemble de règles techniques élaborées en commun, par l’accord des producteurs et des utilisateurs. Le processus de normalisation (définition de la norme) vise à spécifier, unifier, simplifier en vue d’un meilleur rendement dans tous les domaines des activités de production matérielle. La norme est une cible pour le producteur de l’ artefact et une référence pour son client ou son utilisateur.

(b) Politique. La normalisation désigne un retour à une situation normale. Exemples: “L’ordre règne à Varsovie !”. “Tout est normal sur la Place Tien An Men !”.

Voir Modèle de la cible . Modèle de l’artefact . Paradoxe de la normalité .

Théma Paradoxe de la normalité.

Normaliser. (a) Soumettre à une normalisation.

(b) Se normaliser. Devenir normal.

Voir Norme. Norme culturelle . Normalité. Paradoxe de la normalité .

Théma Paradoxe de la normalité.

Normalité. La normalité est la qualité de l’individu normal ou de l’objet normalisé.

• (a) S’agissant de l’objet normalisé. La normalité est la qualité d’un objet ou d’un artefact produit par des hommes et qui satisfait aux normes de qualité que les mêmes hommes ont définies pour lui, dans un processus de normalisation. Nous n’irons jamais trop loin dans ce domaine.
  
• (b) S’agissant de l’ individu normal . Nous allons toujours trop loin dans ce domaine. La normalité est une quête impossible. L’individu normal est un être imaginaire. Monsieur Toulemonde est un individu concret. Comme tout le monde , il est différent, il EST pas comme tout le monde . Le paradoxe de la normalité aboutit à ce que le processus de normalisation soit, par nature, un mécanisme d’exclusion .
  

Voir Domination comme principe . Norme excluante .

Théma Paradoxe de la normalité.

Normalité comme soumission . Il ne peut exister de norme naturelle . Toute norme est culturelle et excluante. La recherche de la normalité est une soumission soit au conformisme des gens normaux, soit à la norme de l’individu normal.

L’individu normal est soit le modèle soit l’idéal:

• Il est le modèle, le Moi-idéal des gens normaux . Ils se croient conformes au modèle absolu .
  
• Il est l’ idéal du Moi de Monsieur Toulemonde . Ce à quoi il voudrait s’identifier.
  

L’individu normal porte les espoirs de chacun. Il est un maximum abstrait des qualités des individus concrets. Il réalise ce que Monsieur Toulemonde voudrait pouvoir réaliser en souffrant de ne pouvoir le faire:

• son intégration psychologique (instances) et
  
• son intégration sociologique (institutions).
  

Voir Désir et souffrance . Résistance et souffrance .

Théma Paradoxe de la normalité.

Auteur

Hubert Houdoy

Créé le 20 Juillet 1999

Modifié le 12 Novembre 1999

Suite

Glossaire Détaillé, Lettre N, numéro 08

Lettre O

Glossaire Détaillé, Lettre O, numéro 01

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Mise à jour: 24/12/1999