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Les Secrétaires et la Décision

11 ème Forum National du Secrétariat

Le 26 novembre 1998 à Paris.

Organisé par

Isabelle Constant

Tel 01 47 43 15 63

de la société ETEX

etex@easynet.fr

Thème

• <<Décideur: très en vogue il y a quelques années, le mot semble désormais moins fréquent. Est-ce à dire qu'on ne décide plus dans les entreprises et les administrations ? Certes non: on décide autrement. Moins autoritaire, plus collégial, moins rationnel, plus intuitif, le processus de décision implique un nombre croissant de partenaires, à l'intérieur comme à l'extérieur des organisations.

Il faut en prendre acte: décider dans le monde complexe d'aujourd'hui est si difficile et risqué qu'il devient indispensable de faire partager les choix.

• Aux côtés du management, les secrétaires et assistantes se trouvent à nouveau en première ligne dans les méandres des processus de décision.
• La réorganisation du temps de travail et l'arrivée de l'Euro vont par ailleurs engendrer à cet égard de grands changements qu'elles devront accompagner. (Isabelle Constant)>>.

Sujets retenus pour l'intervention

• De la décision à l'action, entre autoritarisme et consensus.
• Les secrétaires et assistantes relais des choix de management.

Introduction

1. La décision dans la complexité

2. Univers décisionnel euclidien

3. Univers décisionnel du marché

4. Univers décisionnel chaotique

5. Décideur et non-décideurs

6. La décision comme représentation

7. L'irruption de la séduction dans le spectacle

Conclusion

Faire partager les choix ? Le décideur n'est-il plus tout-à-fait aussi sûr de ses options ? Doute-t-il de sa légitimité ? Prend-il conscience de ce que beaucoup de bifurcations échappent à son spectacle décisionnel ? Comment les secrétaires peuvent-elles se situer dans une telle évolution du marché, de la décision et de l'organisation ?

Les secrétaires peuvent-elles décider dans le monde complexe ? D'une part, elles ne font pas partie des décideurs officiels. Pourtant, elles se trouvent confrontées à de très nombreuses bifurcations, dans les méandres des processus décisionnels, du fait de la réalité chaotique des organisations.

Décider efficacement dans un monde complexe implique de se faire une idée de la complexité de l'environnement. En outre, nous devons adopter un système décisionnel susceptible de représenter l'éventail des choix ou des solutions qui nous paraissent plausibles ou admissibles. Or, la complexité, par définition même, se joue à plusieurs niveaux interdépendants:

• La complexité de la réalité environnante ou de l'organisation potentielle englobante (marché, société, environnement) est celle qui s'impose à l'organisation réelle. Même si elle résulte des actions antérieures des organisations réelles, cette complexité semble un facteur exogène, un état de fait.
• Dans l'organisation réelle, la complexité de la conception des produits, des services et des process de production oblige à réaliser la synthèse de la coopération et de la conception. D'où une révolution dans les principes de l'organisation, avec le conception simultanée et la production en juste à temps.
• La complexité de l'organisation actuelle résulte de ces deux changements, interne et externe. La domination comme principe, celle qui produit une hiérarchie auto-reproductible ne permet pas la souplesse, la mobilité et la mobilisation requises par la réactivité du juste-à-temps sur des marchés volatils. La domination comme principe d'organisation doit faire place à la participation volontaire et à la motivation. Les entreprises citadelles doivent démanteler les murailles de leurs féodalités. Elles doivent s'ouvrir sur l'extérieur par des partenariats stratégiques. Elles doivent mettre du réseau dans leurs pyramides.

En conséquence, il n'est pas de décision qui ne soit prise en fonction:

• d'une représentation de ce qu'est un décideur (chaque individu, de nombreux élus, une élite, un représentant élu, un envoyé des dieux, le dieu lui-même, etc.),
• d'une représentation de ce qu'est une prise de décision ("demain, j'arrête de fumer", calcul, jet de dés, spectacle décisionnel, prophétie auto-réalisatrice, fiat lux, deus ex machina, impulsion, bifurcation) et
• d'une représentation de l'espace des choix ou de l'espace des solutions possibles (euclidien ou chaotique).

Les représentations du décideur, de la décision et de l'espace des choix doivent être compatibles entre elles. Dans ce cas, elles constituent un univers décisionnel. Mais il faut reconnaître que ce n'est pas toujours le cas (acte manqué), ni dans la réalité ni dans la théorie (non-cohérence). Aujourd'hui, dans nos sociétés industrielles, trois modèles ont tendance à s'affronter: l'univers décisionnel euclidien, l'univers décisionnel du marché et l'univers décisionnel chaotique.

L'univers décisionnel euclidien correspond à la métaphore de la table rase. C'est l'univers décisionnel de l'organisation réelle. Cet univers mental est hérité des armées antiques ou des totalités masculines. La domination y fonctionne comme principe d'organisation. C'est la référence inconsciente de bien des organisations actuelles (valeurs pratiquées), malgré leur discours officiel (valeurs professées). La hiérarchie et le modèle de la cible supposent que:

• la qualité de décideur est réservée à une élite, au sommet de la chaîne hiérarchique de chaque organisation.
• La décision est perçue comme un spectacle décisionnel. La décision est d'abord et avant tout un discours de vérité. Elle fonctionne comme une représentation sociale. La décision est donc un prophétie auto-réalisatrice. Elle produit du sens dans l'organisation. Elle définit comment il faut lire les signaux provenant de l'extérieur. La décision est un spectacle social que l'organisation se donne à elle-même.
• L'espace des choix est une table rase, un monde à conquérir ou un espace euclidien. D'où la possibilité du calcul dans des modèles linéaires. Mais surtout, la possibilité de grandes envolées lyriques, de ces discours qui construisent des châteaux en Espagne. "Soldats, du haut de ces pyramides, vingt siècles vous contemplent".

L'univers décisionnel du marché est celui de la non-organisation ou de la division sociale du travail. Sa métaphore est celle de l'équilibre et de l'équilibration permanente. Il n'y a pas d'organisation réelle représentant et personnifiant la totalité de la société. La théorie de l'équilibre des prix sur les marchés suppose que:

• Chaque individu est un décideur. Chaque offre est donc une goutte d'eau dans l'océan de l'offre. Chaque demande est donc une goutte d'eau dans l'océan de la demande.
• La décision est perçue comme un calcul de maximum ou d'optimum. D'où le choix du producteur et le choix du consommateur. Il existe donc des millions de micro-décisions. Mais le modèle de l'équilibre est plus fort que les conséquences des micro-décisions. C'est pourquoi il n'y a pas de pont (no bridge) entre la micro-économie et la macro-économie. Chacun est libre (libre arbitre) dans une réalité subie.
• L'espace des choix pour chacun des décideurs individuels est une table rase ou un espace euclidien. D'où la possibilité de calculs. De plus, par l'hypothèse des prix-signaux et de l'information parfaite, le marché fournit à chacun toutes les informations dont il a besoin pour faire ses choix d'optimisation et d'affectation de son revenu.

L'univers décisionnel chaotique correspond à la métaphore du paysage montagneux. Tout n'est pas possible. Loin de là. Le monde de chacun est structuré par les actions des autres. Depuis la théorie de la relativité générale d'Albert Einstein, nous savons que chaque corps pesant courbe l'espace alentour. C'est l'univers décisionnel de la division sociale du travail. Il n'y a pas d'organisation réelle représentant et personnifiant la totalité de la société. La théorie du chaos suppose que:

• chaque individu peut être décideur sans même en avoir le titre. Il suffit qu'il ait des impulsions ou qu'il provoque des bifurcations.
• les rares décisions réelles sont complétées par de nombreuses impulsions et des bifurcations.
• l'espace des choix ou l'espace des solutions possibles est de type chaotique. Il est constitué par une succession de bifurcations. Le graphe d'exploration des possibles est une formalisation dynamique et hypertextuelle d'un tel espace chaotique. C'est dans ce nouvel univers que se développent les organisations virtuelles.

Dans les autres univers décisionnels, dans la mesure où tout le monde n'est pas décideur, il y a dans toute décision une composante spectaculaire. Les formes du spectacle varient avec le nombre des décideurs, au fur et à mesure que celui-ci s'accroît. Nous verrons que les formes varient aussi avec le genre des sujets.

Dans une organisation réelle, publique ou privée, un décideur est toute personne qui:

• a le droit de prendre officiellement des décisions;
• a le devoir de donner à celles-ci une certaine emphase et un certain décorum.

Car la décision est d'abord un spectacle. Le spectacle que l'organisation se donne à elle même de sa capacité à... prendre des décisions... spectaculaires. La décision est un moyen de se rassurer. C'est le côté spectaculaire de ses décisions qui différencie le décideur des autres membres de l'organisation. Cette obligation de spectacle peut même le dispenser ou l'empêcher de prendre les décisions en temps utile.

De leur côté, les non-décideurs ne sont plus, depuis longtemps, de simples exécutants:

• Ils prennent, chaque jour, de nombreuses décisions muettes.
• Ils constatent de fréquentes bifurcations qui ne sont pas accompagnées de décisions.

Les décisions muettes et les bifurcations perçues contribuent au comportement chaotique de l'organisation. Elles augmentent la distance que les non-décideurs soupçonnent entre la réalité de l'organisation et son modèle décisionnel.

Il y a, dans beaucoup de prétendues décisions, un spectacle décisionnel. C'est le cas lorsque les interprétations a posteriori suivent les bifurcations. Alors, la prise de décision a posteriori est un spectacle. Cette mise en scène est chargée de produire du sens. Mais il arrive parfois trop tard pour éclairer ceux à qui il s'adresse. Or ce phénomène est de plus en plus courant sur le terrain des organisations.

Pourtant, il ne faudrait pas opposer radicalement un monde de l'action sans représentation et un monde de la décision qui ne serait que spectacle. C'est justement la très ancienne division politique du travail (prêtres, guerriers, producteurs) qui produit cette opposition trop radicale entre décision et action. La représentation est présente dans l'action comme dans la décision. Elle fait partie de l'action la plus spontanée. Jean-Paul Sartre avait montré que, dans son action, le garçon de café se jouait le spectacle du garçon de café actif. L'action est aussi une représentation, individuelle ou sociale. De plus, l'action est un schème, une habitude, une interprétation, une mémoire.

Il y a toujours une distance entre le réel et sa représentation. Mais la décision pose un problème particulier du fait de:

• la division du travail,
• la hiérarchie des rôles et de
• la séparation des statuts.

Nombre de décisions inévitables concernent la division et l'organisation du travail elles-mêmes. La division taylorienne du travail crée des occasions de décision des uns à propos des autres. Il y a opposition entre la théorie du marché qui fait de chaque individu un sujet rationnel opérant des choix ou prenant des décisions et l'organisation taylorienne qui limite cette possibilité à la catégorie des décideurs officiels.

Or, ce privilège de la décision est une représentation de l'organisation. Et ce, dans tous les sens du terme:

• Représentation politique. Les décideurs sont la représentation officielle de l'organisation.
• Représentation matérielle. Les décideurs matérialisent, concrétisent, l'organisation.
• Représentation subjective. Ils personnifient l'organisation. (L'Etat c'est moi !).
• Représentation sociale. Les décideurs modèlent les croyances par leurs décisions.

Une décision a donc deux facettes inséparables: bifurcation et spectacle. Mais il semble exister un principe de compensation entre les deux facettes: plus la bifurcation délibérée est faible, plus le spectacle est nécessaire pour la représentation sociale du décideur ou de la décision. Pourtant, il serait dangereux de ne prendre en compte la composante spectaculaire qu'en situation d'interprétation a posteriori.

Les relations entre les décideurs et leurs secrétaires ne sont pas indemnes de la division sexuelle des émotions: désir et domination d'un coté, tendresse et séduction de l'autre. Car le spectacle décisionnel est une des formes du spectacle social. Et le spectacle de la société est organisé pour la vision. On peut trouver à ce fait au moins deux raisons:

• La propension du désir à se laisser capter par la vision.
• C'est par le sens de la vision que la population a conscience d'appartenir à une totalité. D'où les manifestations totalitaires de Nuremberg, Moscou, Pékin et autres capitales éphémères d'empires aux prétentions mondiales et millénaires.

Mais, justement, avant d'accéder à ce niveau de délire politique, le spectacle social est celui de la domination masculine. S'y ajoute aujourd'hui celui de la séduction féminine.

Depuis des siècles, les grandes institutions organisent leurs spectacles autour de la domination, de la séduction et du désir. La formule latine panem et circences résume bien toutes les situations traditionnelles: nourrir, distribuer et séduire, fusse par la violence.

• L'institution politique organise la distribution du pain et le spectacle des jeux du cirque pour mieux justifier la division politique du travail entre prêtres, guerriers et producteurs.
• L'institution de la hiérarchie organise la rivalité homosexuelle masculine de la domination. C'est ainsi que se construit la chaîne hiérarchique. La hiérarchie auto-reproductible se perpétue depuis les premières totalités masculines, en passant les empires et la féodalité, pour aboutir à la hiérarchie des salaires.

Dans l'ensemble, tout cela est vieux comme le monde. Jusqu'au siècle dernier, quand le métier de secrétaire était réservé aux hommes, la domination masculine s'exerçait dans le monde du travail et sur le monde de l'amour. C'est dans ce seul secteur que s'exerçait la séduction féminine.

• L'institution du mariage organise l'attirance hétérosexuelle du désir. Elle reproduit la division sexuelle des émotions dans le couple. Elle entretient la division sexuelle du travail dans le ménage. Le mariage servant de modèle à la série des concubinages notoires, des amours de passage et des liaisons dangereuses comme des flirts adolescents, il organise aussi la rivalité hétérosexuelle de l'orgueil dans la relation sexuelle.
• Aujourd'hui, l'accès des femmes au travail salarié modifie les relations traditionnelles dans le ménage. L'accès des femmes à l'entreprise a mis la séduction dans le monde de la domination. Cette irruption de la femme dans un monde d'hommes a provoqué l'introduction d'une nouveauté. C'est pourquoi l'institution de la mode organise la rivalité homosexuelle féminine de la séduction. Les secrétaires savent bien que la beauté ou l'élégance sont une forme d'obligation. Une de ces nombreuses obligations de performance du monde du travail.

Pour conclure sur ce point du spectacle et le relier à la perception du chaos, il y a dans toute décision spectaculaire une part de deus ex machina.

• Au théâtre, le "dieu descendu d'une machine" rétablit l'ordre entre les personnages de la pièce. Le deus ex machina est parfois une ruse pour se sortir d'une situation dramatique totalement insoluble.
• Dans la religion, le Dieu créateur est celui qui crée dans l'ordre. Il arrive parfois qu'un démon prenne un malin plaisir à produire du désordre (Adam et Eve).
• Dans la mythologie, le dieu fondateur (Zeus) est celui qui refoule le chaos primordial. Il fait régner l'ordre dans le monde.
• Par ses dons (Prométhé) ou par ses travaux (Héraclès), le héros civilisateur a la capacité de remettre de l'ordre dans le monde des hommes, quitte à mécontenter les dieux (Zeus, Héra).
• Tout décideur, grand ou petit, aime à penser que décidément rien ne pourrait se faire sans lui. Sans sa pensée organisatrice, ce serait le chaos.

Mais il semblerait qu'aujourd'hui son spectacle décisionnel ajoute au chaos naturel. La réalité actuelle des organisation est chaotique. Et cela est bon. Car toute organisation doit reproduire en son sein les caractéristiques de l'environnement sur lequel elle agit et dans lequel elle puise son énergie. Or le monde du réseau est le monde du chaos. Mais, avec le chaos mathématique, nous savons domestiquer le chaos. Il n'est plus l'horreur absolue de l'impensable. Nous savons maintenant qu'un chaos structurant a existé bien avant la pensée organisatrice de l'homme.

La secrétaire ne fait pas partie du cercle étroit des décideurs. Elle est même, presque par définition, la secrétaire du décideur. Mais, si le décideur est astreint au difficile spectacle décisionnel, n'est-il pas satisfaisant d'être celle qui anime le réseau des relations, tout autour de lui ?

Hubert Houdoy

Créé le 1 Novembre 1998

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From Decision to Action in Organizations:

Decision-making as a Social Representation

Hervé Laroche

Organization Science

Volume 6, Ndeg.1, January-February 1995

Coopération et Conception

Gilbert de Terssac, Erhard Friedberg (sous la direction de)

Collection Travail

Éditions Octarès

Toulouse, 1996

330 pages,

180 F

L'entreprise à l'écoute

Apprendre le management post-industriel

Michel Crozier

Seuil, 1994

Planning and control systems:

a framework for analysis

R. Antony

Harvard University Press

Boston, 1965

Évolution historique des organisations

• Des marchés et des métiers
• Des réseaux et des nomades
• Des souris et des hommes

Décision et complexités

• La Prise de Décision comme Représentation Sociale
• L'entreprise à l'écoute (Michel Crozier)
• Mettez du réseau dans vos pyramides

Coopération et Conception

• Coopération et Conception
• Structurer l'action des utilisateurs
• la conception se poursuit dans la réalisation

Evaluation des choix

• Graphe d'Exploration des Possibles
• Évaluation de la Performance Industrielle

Organisation apprenante

- Apprentissage Organisationnel

• Encyclopédie d'Entreprise

Identité Personnelle et Instrumentalité Collective

• Pourrons-nous vivre ensemble?
• Présentation du Cycle Robinson Crusoé

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Mise à jour: 16/07/2003