Pensée collective


(a) La notion de <pensée collective> est une généralisation au groupe de ce que l'on définit généralement comme <pensée> à propos de l'individu ou du sujet individuel. D'un point de vue historique ou phylogénétique, la pensée collective (le chaos structurant) pourrait être plus ancienne (évolution des Primates, préhistoire des humains) ou plus profonde (inconscient collectif) que la pensée individuelle (la pensée organisatrice).


(b) L'objet ou le résultat de la pensée dite collective peut prendre, au moins, les formes suivantes :


- la forme relativement neutre et statique du préjugé collectif, qui s'exprime par des dictons propres à une organisation réelle (le conformisme parfois présenté comme une prétendue culture d'entreprise), des proverbes propres à un peuple et dans lesquels certains voient le "génie d'un peuple" ou même la "sagesse des nations" ;


- la forme heureuse de l'intelligence collective, quand le résultat de cette pensée fait preuve de pertinence à l'égard de la réalité ou, du moins, de la partie de celle-ci qui est importante pour la survie et l'activité de l'organisation concernée ;


- la forme dangereuse de l'erreur collective, quand la pertinence n'est pas le souci majeur du groupe, où quand ce souci, minoritaire dans le groupe, est refoulé par certains et réprimé chez ceux qui le manifestent. C'est pour décrire cette situation, trop courante, que le sociologue Irving Janis a forgé, en 1972, le concept de <GroupThink> ou de pensée de groupe.


(c) La pensée collective peut rester sans formulation, prendre une forme anonyme (proverbe) ou faire l'objet d'une formalisation canonique par une autorité :


- <<Or, un proverbe est l'expression condensée d'une idée ou d'un sentiment collectifs, relatifs à une catégorie déterminée d'objets. Il est même impossible qu'il y ait des croyances ou des sentiments de cette nature sans qu'ils se fixent sous cette forme. Comme toute pensée tend vers une expression qui lui soit adéquate, si elle est commune à un certain nombre d'individus, elle finit nécessairement par se renfermer dans une formule qui leur est également commune. Toute fonction qui dure se fait un organe à son image. C'est donc à tort que, pour expliquer la décadence des proverbes, on a invoqué notre goût réaliste et notre humeur scientifique. Nous n'apportons pas dans le langage de la conversation un tel souci de la précision ni un tel dédain des images ; tout au contraire, nous trouvons beaucoup de saveur aux vieux proverbes qui nous sont conservés. D'ailleurs, l'image n'est pas un élément inhérent du proverbe ; c'est un des moyens, mais non pas le seul, par lequel se condense la pensée collective. Seulement, ces formules brèves finissent par devenir trop étroites pour contenir la diversité des sentiments individuels. Leur unité n'est plus en rapport avec les divergences qui se sont produites. Aussi ne parviennent-elles à se maintenir qu'en prenant une signification plus générale, pour disparaître peu à peu. L'organe s'atrophie parce que la fonction ne s'exerce plus, c'est-à-dire parce qu'il y a moins de représentations collectives assez définies pour s'enfermer dans une forme déterminée. (Émile Durkheim, 1893, "De la division du travail social", Livre I)>>.


- Dans l'Eglise catholique, la pensée collective fait l'objet d'un dogme, soutenu par le principe de l'infaillibilité pontificale, en vertu de quoi toute pensée distincte du dogme est combattue comme hérésie, l'ouvrage qui l'exprime est mis à l'Index (encore valable pour Pierre Teilhard de Chardin) et, "aux bons vieux temps", l'auteur était condamné par l'Inquisition à périr dans les flammes, sur un bûcher.


- Une foule manifeste des fragments de pensée collective sous la forme de slogans ("Les aristocrates à la lanterne !") ou de rumeurs ("les troupes du Roi font le siège de Paris !").


- Une pensée collective peut se manifester par des initiatives individuelles, convergentes et simultanées, sans concertation préalable, parce que la pensée est "dans l'air du temps" et que "les mêmes causes produisent les mêmes effets" dans des cerveaux dispersés et non-connectés.


- <<La dualité de l'âme et du corps, qui est une notion si familière aux Occidentaux qu'elle leur paraît aller de soi, est aussi présente à l'esprit des savants indiens, mais elle ne leur est pas aussi évidente et s'efface le plus souvent devant un schème beaucoup plus fondamental dans la pensée collective et partout présent dans les textes sanskrits : la triade ou division de la personne humaine en corps, parole, pensée. (Encyclopaedia universalis, article "Inde. Les Sciences")>>.


(d) La pensée collective n'est pas une nouveauté. C'est la pensée magique. La méthode scientifique s'est élaborée en dehors d'elle et même contre elle.


- Mircea Eliade (1907-1986) étudie les formes anciennes de la pensée collective dans "Mythes, rêves et mystères".


- <<Si l'analyse d'ensemble paraît juste, peut-être faudrait-il nuancer quelque peu aujourd'hui l'optimisme évolutionniste et rationaliste des fondateurs de l'école française de sociologie qui minimisent la survivance de ces croyances collectives dans l'aire européenne. Il se pourrait bien en effet qu'il y ait résurgence (retour du refoulé) de ces croyances que l'on croyait «dépassées» et même production ininterrompue de nouvelles, ce qui ouvre évidemment un chantier d'exploration inépuisable à la sociologie de l'insolite. Ces réalités sont également analyseurs des catégories épistémologiques du vraisemblable et de l'invraisemblable, du vérifiable (démontrable) et de l'invérifiable (indémontrable), du possible et de l'impossible, du concevable (formulable) et de l'inconcevable (indicible, ineffable), du rationnel et de l'irrationnel. Elles mettent surtout en question les témoignages et matériaux donnant accès et consistance à ces réalités qui départagent, frontalement ou de manière plus floue, la croyance et l'adhésion (crédulité, superstition) de l'incrédulité et du refus (scepticisme, doute), ou la «foi enracinée» de «l'incrédulité obstinée» pour reprendre les expressions de Marcel Mauss. Celui-ci note, dans sa célèbre étude sur la pensée magique, que les «catégories de la pensée collective» liées à la magie intègrent une série infinie et multiforme d'êtres et d'esprits : âmes des morts, démons, génies, djinns, fées, farfadets, nixes, nymphes, archanges, anges, archontes, éons, etc. Ces entités sont inductrices et conductrices de pouvoirs et de forces magiques ou mystiques à travers des pratiques rituelles d'exorcismes, d'incantations, d'invocations, de charmes, d'ensorcellements, d'envoûtements, de sacrifices, etc., parce qu'elles correspondent à des «croyances obligatoires» collectives, c'est-à-dire traditionnelles. Objets de croyance, les réalités magiques sont des expériences vécues d'adhésion a priori. Tandis que les « croyances scientifiques » sont a posteriori, «perpétuellement soumises au contrôle de l'individu, et ne dépendent que des évidences rationnelles», «la croyance à la magie est toujours a priori. La foi dans la magie précède nécessairement l'expérience : on ne va trouver le magicien que parce qu'on croit en lui ; on n'exécute une recette que parce qu'on a confiance. Encore de nos jours, les spirites n'admettent chez eux aucun incrédule, dont la présence empêcherait, pensent-ils, la réussite de leurs opérations». (Jean-Marie Brohm, Professeur de Sociologie, "Complémentarisme de l'ethnopsychanalyse et de la phénoménologie", document du web)>>.


(e) La pensée scientifique a eu tendance à retourner à une très ancienne forme de pensée collective, dans ce qui fut (est ?) le totalitarisme.


- <<Autour de ces questions concernant le régime intérieur du Parti et l'économie du pays, il s'est élevé au cours de la discussion des nuages de poussière qui forment souvent un voile presque impénétrable et brûle les yeux. Mais cela passera. Les nuages de poussière se dissiperont. Les contours réels des questions apparaîtront. La pensée collective du Parti tirera progressivement des débats ce qui lui est nécessaire, acquerra de la maturité et deviendra plus sûre d'elle-même. Et ainsi, la base du Parti s'élargira et sa direction deviendra plus sûre. C'est en cela que consiste le sens objectif de la résolution du Comité Central sur le "cours nouveau" du Parti, quelles que soient les interprétations "machine en arrière" dont elle est l'objet. Tout le travail antérieur d'épuration du Parti, le relèvement de son instruction politique et de son niveau théorique, et enfin de fixation du stage pour les fonctionnaires du Parti ne peut avoir son couronnement que dans l'élargissement et l'intensification de l'activité autonome de toute la collectivité du Parti, activité qui est la seule garantie sérieuse contre tous les dangers liés à la nouvelle politique économique et à la lenteur du développement de la révolution européenne. (Léon Trotsky, "Cours Nouveau", 1923)>>.


(f) La pensée collective fusionnelle se manifeste par une forte émotion collective, dont la force pourrait bien être une cause de l'erreur collective. Le nazisme est une pensée collective où prédominent les mécanismes de la pensée de groupe.


- <<Parfois, cependant, l'orateur gravit d'une façon précipitée l'échelle de ses idées, enjambant les marches : il agit ainsi lorsque la conclusion à atteindre lui semble déjà trop claire, trop évidente, lorsqu'il devient pratiquement trop urgent d'y parvenir ; lorsqu'il faut y amener les auditeurs aussi vite que possible. Mais voici qu'il a senti qu'on ne pouvait le suivre, que le lien entre lui et l'auditoire se détendait. Aussitôt, il se reprend, saute en arrière et recommence son ascension, mais, cette fois, d'un pas plus calme, plus mesuré. Sa voix même se modifie, on n'y sent plus l'excès d'intensité du début ; elle s'enveloppe de nuances persuasives. Ce retour en arrière, ce mouvement de va-et-vient nuit, bien entendu, à la construction du discours. Mais fait-on un discours pour le simple plaisir de le bien construire ? A-t-on besoin, dans un discours, d'une autre logique que de celle qui déterminera l'action ? Et lorsque l'orateur rejoint à nouveau sa conclusion, accompagné maintenant de tous ses auditeurs, n'ayant abandonné personne en chemin, on a dans la salle comme la sensation physique de son succès, on éprouve la joie reconnaissante qui marque la complète satisfaction de la pensée collective. Il ne reste plus qu'à frapper deux ou trois fois pour bien indiquer la conclusion, pour lui donner de la vigueur, pour lui laisser une expression simple, éclatante, imagée, pour l'imprimer dans les mémoires ; ensuite, on peut s'accorder, à soi-même et aux autres, une pause pour reprendre haleine ; on plaisante, on rit ; pendant ce temps, la pensée collective ne s'en assimile que mieux l'acquisition qui vient d'être faite. L'humour oratoire de Lénine est tout aussi simple que ses autres procédés, si l'on peut ici parler de procédés. Mais on ne trouvera pas dans les discours de Lénine ce que l'on appelle " de l'esprit "et encore moins " des pointes " ; il a la plaisanterie savoureuse, intelligible pour la masse, populaire dans le véritable sens du mot. Si les circonstances politiques n'inspirent pas d'inquiétude particulière, si l'auditoire se compose en majorité de " fidèles ", l'orateur ne répugne pas à un certain " batifolage ". L'auditoire entend avec plaisir telle facétie malicieusement naïve, telle " charge " plaisamment impitoyable ; on sent bien qu'il ne s'agit pas seulement de faire des mots et de rire, mais que tout cela conduit au même but. (Léon Trotsky, "Lénine", Partie II, "Autour d'Octobre", Chapitre VII, "Lénine à la tribune")>>.


(g) Références définitionnelles :


- <<Des mille pensées individuelles émerge une pensée collective, dont la Science est l’une des plus hautes conquêtes (Jean-François Dortier, "Vers une intelligence collective ? ", in Sciences humaines, N° 32, mars-avril-mai 2001)>>.


- <<Le diagnostic de pensée de groupe est devenu courant dans l'analyse de décisions. Exemple : la commission sénatoriale américaine chargée d'évaluer l'action des services secrets a émis l'avis, en 2004, que la « communauté du renseignement » avait été victime d'une erreur collective à propos de l'Irak. Ses informateurs, analystes et dirigeants auraient en effet élevé au rang de preuves les indices douteux concernant les programmes d'armes de destruction massive développés dans ce pays. Inversement, ils auraient minimisé toutes les évidences négatives. Leur conviction était telle qu'ils ont négligé toutes les procédures prévues pour débusquer les effets de la pensée de groupe. (Nicolas Journet, document du web)>>.


- <<Consensus et pensée collective. De nos jours, on confond souvent consensus et «choix collectif». Il existe des degrés de variation toujours possibles entre individus, et il doit y avoir une implication individuelle forte pour faire suivre la prise de décision de l'action. Auquel cas, la prise de décision nécessite une négociation au bout de laquelle les autres participants au débat seront satisfaits. L'opinion collective n'est pas un consensus, mais au mieux une opinion reçue, au pire, l'alignement sur une orthodoxie éventuellement à partir d'une manipulation mentale (gouroutisme, propagande). Par ailleurs il existe des consensus émotionnels pouvant aller jusqu'à l'hystérie collective comme le montre l'étude des groupes et des foules. Il existe de nombreux débats et recherches à la fois sur les notions d'intelligence collective et de prise de décision par consensus. (Wikipédia, article "Consensus")>>.


- <<Pour tenter de savoir comment peut se former aujourd'hui un concept de l'individu connaissant, l'auteur adopte le parti d'opposer deux figures possibles du sujet. Tandis que la première l'identifie plus ou moins à la pensée collective d'une communauté, la seconde est caractérisée par l'invention de techniques individuelles d'écart à l'égard de cette pensée collective et par la stylisation d'une conduite nouvelle en réponse à des situations de contradiction. Comprendre, c'est inventer et c'est aussi simultanément s'inventer soi-même à travers un processus de subjectivation. (Catherine Chevalley, "La connaissance a-t-elle un sujet ? Un essai pour repenser l'individu", résumé, document du web)>>.


- <<Durant la pause, il s'agira de préparer rapidement le contenu de la synthèse, ce qui n'est pas toujours commode car c'est aussi le moment convivial et apéritif, et il n'est pas facile de s'en extraire, de s'isoler.L'objectif est le suivant : restituer au groupe une sorte de déroulement des problématiques, réflexions, et arguments énoncés, de type chronologie, cheminement, histoire brève de la pensée développée jusqu'à cet instant. Sorte de miroir qui tentera de renvoyer, resituer, rappeler l'endroit où nous sommes arrivés, et par où nous sommes passés. Quelques regroupements, mises en liens, contradictions peuvent être soulignés, mis en évidence. Mais l'ensemble, l'intention est de renvoyer un " reflet " de ce qui s'est déroulé durant la première partie, dans ce qu'on pourrait appeler une " vision cinéma ".Les différentes opérations mentales convoquées dans cette phase pourraient être décrites comme suit :

- écouter la personne qui se dit dans son expérience d'humain au travers de sa pensée ;

- comprendre le sens de ce qui est énoncé parfois dans la complexité, l'élaboration de la pensée dans l'instant, née d'un insight, d'un besoin d'expression urgent, d'une émotion qui va provoquer une mise en mouvement de la pensée dans une direction parfois inattendue ;

- reformuler, refléter : reprendre l'essentiel de ce qui est dit avec les mots et y rajouter un soupçon de l'émotion exprimée par le non-verbal et qui va rajouter du sens, ou le nuancer ;

- contenir, être le contenant (autant que faire se peut, et dans les limites de l'appareil) ; ce qui laissera trace sera ce qui aura été inscrit dans ce cadre, avec l'inconvénient de la limite, et l'avantage de la structure ;

- mettre en lien, enchaîner les pensées dans une première structuration, après qu'elles se soient " répondues les unes aux autres, après qu'elles aient résonné, fait écho, temps où elles se sont complétées, juxtaposées, opposées, explicitées, exemplifiées. C'est l'ébauche d'une construction de la pensée collective en gestation, qui va " tricoter le Je et le Nous ".

- raisonner avec le groupe, soi-même caisse à écho des pensées qui frisent, se côtoient, se confrontent, donnent à réfléchir, à s'émouvoir, à réagir, donnent à reconstruire sa pensée personnelle ;

- restituer au groupe à mi-course un reflet de son cheminement dans l'ébauche d'un agencement provisoire de la problématique en train de se développer. Patchwork qui peu à peu deviendra mosaïque où se distingueront des formes. (Marie Pantalacci, directrice du CIO de Béziers, "Faire la synthèse - à chaud et à froid - d'une discussion au café philo", document du web)>>.


(h) Références d'usage du terme :


- <<Les vues d'Alfred Adler sur le développement psychique de l'enfant, le façonnage de sa personnalité dans les premières années de sa vie grâce aux facteurs du milieu environnant et à la réalisation de ses possibilités organiques, mais en fonction d'une utilisation active de certains d'entre eux (formation du style de vie), le rôle de la mère en tant que premier partenaire dans le développement du sentiment social du tout petit, sont, à l'heure actuelle, universellement admises. L'aspect caractériologique de l'enfant gâté, passif - candidat éventuel à la névrose - de celui haï, détesté, mais actif, dont l'évolution risque de prendre le chemin de la délinquance - font, à notre époque, partie intégrante de la pensée collective. Peut-être est-il indiqué, au point de vue historique, de rappeler l'originalité de «l'étude sur les enfants difficiles» parue en 1926 et de faire connaître les textes qui ont donné lieu à une immense littérature psycho-pédagogique, dont l'importance grandit sans cesse. Le rôle de la mère, la fonction sociale du père, les erreurs d'une éduca-tion mal comprise ou mal réalisée et leurs conséquences immédiates (énurésie, frayeurs nocturnes, manque d'initiative et de spontanéité chez l'enfant) ou lointaines (névrose, psychonévrose, délinquance, troubles psychosomatiques) sont ici clairement définis. (Alfred Adler, "Complément à l’étude de la névrose obsessionnelle", 1936, traduction du Docteur H. Scahffer, 1957, Préface de Schffer)>>.


- <<On sera ainsi amené à distinguer deux parties de la psychologie collective. La première, la partie générale, concernant l'étude des caractéristiques et des modes de fonctionnement de la pensée collective tels qu'on les trouve dans toutes les sociétés où apparaissent ces formes de la conscience collective et dans lesquelles se développent des représentations et des tendances qui diffèrent en contenu suivant le groupe et qui sont par conséquent particulières au groupe. Les psychologies collectives spéciales suivront cette étude générale, par exemple celles qui portent sur le groupe religieux, la famille, la nation, la classe sociale, les groupements économiques, etc., qui s'attacheront à l'étude de leur nature spécifique et au contenu spécial des traditions, des souvenirs, des concepts des pensées, des sentiments et des perceptions qui les caractérisent. [...] Admettons que les institutions soient avant tout des formes stables et stabilisées des modes de vie. Néanmoins si l'on remonte à l'origine de ces structures nous trouvons des états mentaux des représentations, des idées et des tendances qui, en se stabilisant, se cristallisent en quelque sorte. Certes, il y a bien des degrés et des différences à cet égard entre l'institution nouvelle-née et l'ancienne institution qui est inflexible comme ossifiée. Dans ce dernier cas elle a perdu une partie de son contenu mental. Quoi qu'il en soit on ne peut pas comprendre son existence et son caractère à moins de se rappeler et de ressaisir la pensée collective qui lui a donné naissance et qui se trouve désormais diminuée et réduite et peut-être presque évanouie mais susceptible d'être réanimée si, à la faveur d'un concours des circonstances, l'institution prend un nouveau départ en revêtant une nouvelle forme. De plus le facteur fondamental est de nouveau l'idée que la société se fait de l'institution, de ses aspects extérieurs, des gestes et des réactions que celle-ci peut commander. (Maurice Halbwachs, 1939, "Conscience individuelle et esprit collectif")>>.


- <<Si cette analyse est exacte, le résultat où elle nous conduit permettrait peut-être de répondre à l'objection la plus sérieuse et d'ailleurs la plus naturelle à laquelle on s'expose quand on prétend qu'on ne se souvient qu'à condition de se placer au point de vue d'un ou de plusieurs groupes et de se replacer dans un ou plusieurs courants de pensée collective. On nous accordera, peut-être, qu'un grand nombre de souvenirs reparaissent parce que les autres hommes nous les rappellent ; on nous accordera même, lorsque ces hommes ne sont point matériellement présents, qu'on peut parler de mémoire collective quand nous évoquons un événement qui tenait une place dans la vie de notre groupe et que nous avons envisagé, que nous envisageons maintenant encore au moment où nous nous le rappelons, du point de vue de ce groupe. Nous avons bien le droit de demander qu'on nous concède ce second point, puisqu'une telle attitude mentale n'est possible que chez un homme qui fait partie ou a fait partie d'une société et parce qu'à distance tout au moins, il subit encore son impulsion. Il suffit que nous ne puissions penser à tel objet que parce que nous nous comportons comme membre d'un groupe, pour que la condition de cette pensée soit évidemment l'existence du groupe. C'est pourquoi, lorsqu'un homme rentre chez lui sans être accompagné de personne, sans doute pendant quelque temps « il a été seul », suivant le langage courant. Mais il ne l'a été qu'en apparence, puisque, même dans cet intervalle, ses pensées et ses actes s'expliquent par sa nature d'être social et qu'il n'a pas cessé un instant d'être enfermé dans quelque société. Là n'est pas la difficulté. [...] Si les divers courants de pensée collective ne pénètrent réellement jamais l'un dans l'autre et ne peuvent être mis et maintenus en contact, il est bien difficile de dire si le temps s'écoule plus vite pour l'un que pour l'autre. Comment connaîtrait-on la vitesse du temps puisqu'il n'y a pas de commune mesure, et que nous ne concevons aucun moyen de mesurer la vitesse de l'une par rapport à celle de l'autre ? (Maurice Halbwachs, "La mémoire collective", 1950, De la possibilité d'une mémoire strictement individuelle)>>.


- <<Ainsi, les hommes se sont élevés à une religion et à une conception générale du monde moins sombre : mais c'est dans un cadre préexistant de croyances aux divinités souterraines et à l'action malfaisante des morts que ces nouvelles idées durent trouver place. Dans la religion grecque du Ve et du IVe siècle se juxtaposaient des éléments, d'origine très éloignée dans le temps, et un contemporain suffisamment dégagé de ces croyances, et capable d'entrevoir leurs contradictions, eût retrouvé en elles les traces d'une évolution sociale et morale qui, à des coutumes et superstitions primitives, fit succéder des croyances et une organisation rituelle plus avancées. Mais la loi de la pensée collective est de systématiser, du point de vue de ses conceptions actuelles, les rites et croyances qui lui viennent du passé et qu'elle n'a pu faire s'évanouir : ainsi, tout un travail mythologique d'interprétation altère progressivement le sens, sinon la forme, des anciennes institutions. (Maurice Halbwachs, "Les Cadres sociaux de la mémoire", 1925)>>.


(i) Voir Captatio benevolentiae. Double du réel. Doute méthodologique. Homme intérieur. Refoulement. Répression. Schéma binaire.


(j) Lire "Réalité Représentations". "Réseaux Nomades".





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Auteur.

Hubert Houdoy

Mis en ligne le Vendredi 27 Juin 2008



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